Nos croyances ne nous protègent pas de nos angoisses

 The Sixth Sense est un film de M. Night Shyamalan, cinéaste injustement descendu à tort et à travers, surtout Outre-Atlantique à travers les critiques drôles mais peu constructives (euphémisme) du Nostalgia Critic. Ce film n’est cependant pas à l’origine d’énormément de controverse et en majorité, on s’accorde à dire que c’est un “ bon film ”. Je tiens néanmoins à préciser que cette analyse recouvre la totalité du film, y compris sa fin (même si The Sixth Sense reste le film le plus spoilé de l’histoire). 

Shyamalan est sans doute le réalisateur contemporain sachant le mieux retranscrire le fantastique au cinéma. De l’aveu de Apichatpong Weerasethakul lui-même, Shyamalan est son réalisateur contemporain préféré. Bien que les styles des deux cinéastes soient très différents, ils ont tout deux un goût tres prononcés pour le mysticisme. Les films de Shyamalan comme ceux de Weerasethakul sont emprunt d’une mystique toute particulière, onirique chez le réalisateur Thaïlandais, angoissante chez Shyamalan. L’angoisse parcourt tous les films de Shyamalan, même si les films en question n’appartiennent pas au genre de l’épouvante ou de l’horreur. Classer un film de Shyamalan dans une seule case est affreusement réducteur. En ce qui concerne The Sixth Sense, si l’on tient réellement à caser le film, il s’agirait d’un mélodrame fantastique d’épouvante, mixé à un thriller psychologique et un film d’enquête. Tout ceci n’a plus de sens, donc impossible d’étiqueter The Sixth Sense.


Ce film raconte l’histoire de Malcolm, un psychologue pour enfants renommé cherchant à aider Cole, un enfant semblant souffrir d’un mal profond rappelant fortement à Malcolm un ancien patient à lui qui a tenté de le tuer avant de se suicider. Cole avoue cependant après plusieurs jours de thérapie qu’il voit des morts, des fantômes, et qu’ils lui fait du mal. Après avoir résolu partiellement le problème de l’agression (par la communication), on apprend finalement que Malcolm était lui aussi mort depuis tout ce temps et qu’il a en fait bien été tué par son ancien patient. L’histoire est connu de presque tous, mais de quoi parle le film ? Est-ce réellement un film de fantômes ou un film d’humains ? Le film traite notamment de la distance dans toutes ses formes. Le film s’ouvre sur la femme de Malcolm allant chercher une bouteille dans la cave. Cependant s’intercale entre la caméra et la femme de Malcolm le meuble où sont disposées les bouteilles de vins. Comme dans tous les films de Shyamalan, le premier plan nous indique une des thématiques du film : Ici, les acteurs sont souvent loin de la caméra et presque jamais dans le même cadre (Malcolm, avant sa mort, et sa femme le sont littéralement au début du film, reflétant leurs deux visages dans le cadre que le maire a offert à Malcolm), ou loins du spectateur par les multiples obstacles venant s'intercaler entre les acteurs et la caméra. Les personnages sont loins, non pas physiquement, mais spirituellement. Malcolm, mort, revient chez lui et n’arrive plus à communiquer avec sa femme car elle ne l’entend pas, les deux esprits sont loins malgré les corps proches si on peut parler de corps chez Malcolm, plutôt d’incarnation. Autre cas, le fils Cole et sa mère sont eux aussi très proches mais ne se comprennent pas. Le fils ne communique pas son secret de peur de la réaction de sa mère et celle-ci fait ce qu’elle peut pour aider son fils mais se rend perpétuellement compte de son échec, incapable de comprendre son fils. Les deux couples (Malcolm et sa femme, Cole et sa mère) sont perpétuellement liés par des thématiques similaires.


Ce qui résout les enjeux du film n’est pas Dieu, comme peut le suggérer ironiquement le film à travers les rendez-vous à l’église et les figures Christiques soigneusement placées dans le sanctuaire de Cole qui l’aide à ne plus voir les fantômes. La véritable résolution des enjeux se trouve dans la communication, à la fois une difficulté et une aide pour les personnages : Ils se parlent mais refusent de se comprendre (Cole et sa mère) ce qui aboutit à une peur de communiquer de la part de Cole ; Malcolm parle à sa femme mais la trouve distante, et se résigne finalement à lui parler sans se rendre compte qu’elle est incapable de l’entendre. Au delà des problèmes des deux couples réside également le problème des fantômes que voit Cole. Lorsque Malcolm accepte le fait que Cole voit des morts (à travers une scène brillante où Malcolm réécoute d’anciens enregistrements qu’il a produit avec le patient qui l’a tué), Malcolm dit à Cole qu’il doit tenter de communiquer avec eux pour savoir ce qu’ils veulent. Cole le fera après la chute de son sanctuaire, et parlera à une petite fille ce qui résoudra une histoire sordide, mais néanmoins cathartique pour le jeune garçon. Après cela, il communiquera avec les fantômes qu’il voit (la femme brûlée dans le théâtre) plutôt que de les fuir. Cole conseillera également Malcolm de parler à sa femme dans son sommeil. C’est de cette manière que Malcolm réalisera sa mort. L’acceptation se fait de manière brusque, mais c’est sous la magnifique musique de James Newton Howard que Malcolm dit enfin au revoir à sa femme (se contentant d’un significatif « à demain » pour Cole qu’il n’était jamais sensé revoir dans le cadre de la thérapie). Cette acceptation se conclut par un fondu au blanc, apportant la première touche claire d’un film intégralement gris et morne, symbolisé par la ville de Philadelphie.


Les couleurs sont un aspect plus qu’important dans toute la mise en scène de Shyamalan. Le film est gris et manque de couleurs vives (/vivantes ?) pour appuyer la mort omniprésente (« They are everywhere »), et plus encore le personnage de Malcolm. Le personnage est vêtu d’un même long manteau, s’habille en gris et possède un teint grisonnant : Malcolm est mort. Rien ne contraste avec ce gris et cette mort omniprésente excepté le rouge. Dans le film Cole nous apprend que la mort est vecteur de froid. C’est ainsi qu’à quelques reprises, lorsque l’on observe le souffle d’un protagoniste, un mort rôde quelque part. La couleur rouge est alors le parfait opposant à la mort, couleur chaude par excellence. Le sanctuaire de Cole où il se réfugie pour éviter les fantômes est une couette rouge, la porte de l’église est également rouge. Mais plus encore, la mère de Cole est rousse et est vêtue de rouge dans la dernière scène avec son fils. Le rempart aux peurs du fils est la mère, rousse comme la couleur qui protège le fils. Est-ce cependant aussi simple qu’enfantin ? Une couleur peut-elle symboliquement protéger de la mort ? Shyamalan est très friand du symbolisme mais opère une double lecture de la mise en scène de la couleur. À la fin, le sanctuaire de Cole s’écroule mais la fille fantôme qu’il découvre se trouve alors sous le drap rouge. C’est alors qu’il décide de l’aider. À son enterrement, on découvre que la fille était gravement malade depuis 6 ans. Suite à une nouvelle interaction entre Cole et le fantôme, la fille trouve un moyen de communiquer à son père : Une cassette vidéo. Ce film dans le film nous propose une vision de l’enfance innocente : Le film de la petite fille débute avec un spectacle de marionnette candide. Elle range cependant brusquement ce petit théâtre pour s’affaisser dans son lit, au loin, on ne la distingue plus qu’en amas de pixels sur la télé. Surgit alors la mère de la petite fille qui vient lui apporter son repas. Sans distinguer la caméra, elle verse quelques goutes depuis une bouteille dans le bol de sa fille. On devine suite à la réaction du père aux images qu’il s’agit d’un poison. Le poison et la bouteille sont de couleurs rouges, contrastant alors avec l’idée d’une quelconque protection mystique par la couleur. Le père se retourne vers sa femme, l’accuse preuve à l’appui qu’elle la maintenait malade. La mère est toute vêtue de rouge jusqu’aux lèvres. Tout sentiment de protection, allant même jusqu’à toucher la figure matrimoniale, s’effondre.


Au fond, The Sixth Sense est encore plus inouïe après avoir pris connaissance de la révélation finale. Celle-ci, formidablement mise en scène, est au centre des attentions car elle concerne un point du scénario qui redistribue toutes les cartes et remet en cause toute notre perception du film. Réduire le film à ce « Twist » est cependant d’une bêtise absolue. Le « Twist » fait intégralement partie de l’oeuvre et complète même les points obscurs, non seulement du point de vue scénaristique, mais aussi thématique. On comprend par exemple pourquoi la poignée de la porte de la cave était rouge elle aussi, seule couleur vive présente dans la maison, la cave étant le lieu de travail domicile de Malcolm. On comprend également que le rouge se mêle au gris, à la mort, et qu’aucune des deux ne s’opposent : Elles s’allient même. L’exemple de la mère maintenant sa fille malade jusqu’à la tuer est frappant, mais également l’avant dernière séquence où Cole parle enfin à sa mère : L’accident de voiture mortel se situe devant l’église qui possède des portes rouges (également montré comme un lieu de protection mystique/divine au début du film). Même avant cela, lors de la fête d'anniversaire, on peut observer que le ballon de baudruche qui mène Cole jusqu'à se faire enfermer dans le placard avec un mort est également de couleur rouge, Cole avançant innocemment vers cette couleur. On obtient alors une distanciation (toujours la distance) entre ce que les personnages croient (la couleur, la religion, le fait d’être vivant...) et ce dont il est réellement question. The Sixth Sense est un édifice construit avec nos croyances qui s’effondre.

RoméoCalenda
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le 7 juin 2016

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