James Bond a 50 ans. Un demi-siècle pour 23 films, et un héritage colossal à revendiquer pour Skyfall, qui prend la suite d’un timide Quantum of Solace, victime d’une production chaotique et de sérieuses lacunes au niveau de la réalisation. C’est l’heure de la fin, et d’un renouveau.


Habitué aux missions où il doit sauver le monde, où il séduit de nombreuses femmes pour parvenir à ses fins, s’extirpant toujours de justesse des pires situations, James Bond doit aujourd’hui se confronter à de nouveaux défis. Espionnage et action sont bien entendu au rendez-vous dans Skyfall, mais c’est surtout de famille et des démons intérieurs dont il va être question dans ce vingt-troisième film.


James Bond : Mourir pour mieux vivre


James Bond doit se remettre en phase avec son temps, retrouver ses marques et retrouver sa place. C’est bien ce qu’avait montré Casino Royale, qui réécrivait l’histoire de James Bond sur une ardoise vierge. Quantum of Solace offrait une prolongation à l’histoire, cultivant l’aspect instable de ce James Bond « débutant », avant que Skyfall vienne parachever l’avènement de ce nouveau cycle. Chose surprenante et inédite, James Bond meurt au début du film. Du moins, c’est ce qu’il laisse croire, nous faisant découvrir et imaginer un monde continuant à tourner sans lui pour le sauver. Mourir pour mieux vivre, se débarrasser d’une peau usée pour muer. James Bond finit par renaître, retrouvant une certaine sérénité, et faisant toujours preuve de cette fragilité qui le caractérise désormais.


Skyfall, c’est une sorte de périple initiatique, une quête symbolique ne visant pas seulement à offrir un nouveau défi pour James Bond, mais bien à faire un état des lieux de la saga, la remettre en question et la faire évoluer. Il y a donc, tout d’abord, cette mort présumée qui mène James Bond à une sorte de paradis, un cadre idyllique où il est inconnu. James Bond s’est fait oublier, il n’est plus acteur du monde dans lequel il vit, mais plus qu’un spectateur, qui s’en est détaché, ou, simplement, un homme qui vit désormais hors de ce monde. On peut y voir, donc, comme une sorte d' »ascension », pour faire une analogie biblique, ou, simplement, l’illustration d’un James Bond définitivement en décalage avec son monde avec son époque. Toujours est-il qu’il ne s’agira que d’une parenthèse, aboutissant sur cette réintégration, basée sur la confiance avant la performance, rappelant le côté humain qui prévaut désormais dans la saga.


Silva : La part de mal à combattre et à vaincre


Puis c’est l’initiation, l’enquête et la quête où il rencontrera le dangereux Silva, qui n’est ni plus ni moins qu’un véritable reflet négatif de James Bond. Ce n’est pas la première fois que la saga James Bond explore cette piste, car on pense, par exemple, à Scaramanga dans L’homme au pistolet d’or, sorte d’alter ego négatif de l’agent, le poussant dans des pièges psychologiques vicieux. Il y a également eu Alec dans GoldenEye, l’agent abandonné par son organisation, finissant dans la dissidence et par chercher la vengeance. Ces adversaires étaient toujours extérieurs, et leur écriture les plaçaient dans un contexte toujours rationnel et tangible.


Avec Skyfall, on peut se permettre de voir plus loin et plus en profondeur. Silva est lui aussi un transfuge, un ancien agent qui, comme Alec dans GoldenEye, s’est engagé sur sa propre voie après avoir été mutilé et abandonné par ceux qui devaient veiller sur lui. Mais la relation entre Silva et Bond laisse suggérer quelque chose de plus intime, qui ne se résume pas qu’à une vision d’un agent ayant perdu la tête et souhaitant la fin du monde. Il est l’incarnation de ce que serait James Bond s’il avait trahi, ou s’il avait été trahi. Il représente cette part de mal qui sommeille en lui, qui le tente, à l’image de la fameuse scène où Silva se montre très tactile à l’égard de Bond, autant qu’il l’effraie. Il joue au chat et à la souris avec James Bond, surgissant toujours par surprise pour mettre en péril le monde (intérieur et extérieur) de Bond. Ainsi, plus que de simplement viser la neutralisation d’un terroriste, cette mission offre à James Bond une confrontation avec ce mal intérieur qu’il doit affronter pour s’accomplir.


M : S’affranchir de l’influence de la mère


Il y a un élément qui font se rejoindre les personnages de James Bond et de Silva : le personnage de M. Responsable du programme double 0, femme à poigne, intransigeante mais juste, elle accompagne James Bond depuis plusieurs aventures (après avoir succédé à deux versions masculines de M ayant occupé le poste auparavant). Elle est la première personne à laquelle James Bond rend visite après s’être exilé, se rendant directement chez elle. C’est le seul endroit où Bond pouvait revenir, un peu comme un enfant égaré, pour repartir sur de bonnes bases. Mais James Bond n’est pas le seul pour qui M représente une sorte de « mère ».


C’est bien Silva qui l’appelle ainsi à plusieurs reprises, dénonçant devant elle le fait qu’elle l’ait abandonné et trahi, et cherchant inlassablement à se venger de cette « mère indigne », dans une quête personnelle qui lui permettra enfin d’être libéré. D’un côté la confiance, de l’autre la méfiance et la défiance. Pour James Bond et Silva, M incarne une mère qui les a façonnés, à la présence essentielle que doit être leur affranchissement envers elle. Et, au-delà de cela, elle est également la représentante de ce programme (double 0) dénoncé pour sa désuétude, qu’elle défend malgré les critiques, mais dont la protection mettra sa propre vie en péril.


Skyfall : La maison des fantômes


Enfin, Skyfall offre le retour aux origines, dans cette vaste demeure abandonnée, au beau milieu des Highlands, ces contrées aussi majestueuses que désolées, évoquant les origines autant que la fin. Skyfall, c’est donc ce lieu où James Bond a vécu ses premières années, et où sommeillent désormais les fantômes d’un passé enfoui profondément. Après être mort puis ressuscité, après avoir retrouvé sa « mère » (que l’on pourrait ici presque qualifier de « mère adoptive »), puis après avoir rencontré l’incarnation de ses propres démons, c’est donc dans l’antre de ses souvenirs et le lieu de toutes les peurs que tout doit se jouer.


Cette énorme et majestueuse coquille, devenue vide, est le théâtre du dénouement, qui se déroule loin du monde, comme pour symboliser ce combat intérieur qui se déroule depuis le début du film. Ce dernier acte enveloppe le spectateur dans une atmosphère froide, dans ces contrées lointaines, où règne une certaine torpeur mais, surtout, où l’air est très chargé, avec ce passé qui sommeille depuis longtemps. Une froideur à laquelle succède un véritable brasier nocturne, un déchaînement de flammes infernal, faisant alors de cette dernière virée à Skyfall un voyage vers les racines pour exorciser les démons du passé, et raviver ses braises pour déchaîner l’Enfer. La boîte à souvenirs, la maison des fantômes détruite, et l’emprise du passé s’efface.


Conclusion


Skyfall est un film plein de symbolique, doté d’une profondeur rare, voire inédite, pour un James Bond. Ce n’est pas la première fois qu’on explore des sentiers différents, que l’on perçoit cette couche supplémentaire, cachée derrière les apparences, car on pense à des épisodes comme Au service secret de Sa Majesté, Permis de tuer ou, bien sûr, Casino Royale. Mais c’est bien Skyfall qui parvient, enfin, à réussir à trouver la bonne manière de sonder l’âme de James Bond et à la représenter. Et pour cela, il fallait bien un réalisateur du calibre de Sam Mendes, qui multiplie les plans soignés, magnifiés par la filmographie du grand chef opérateur Roger Deakins, permettant à ce duo de faire de Skyfall l’épisode le plus abouti cinématographiquement parlant. On pense au combat d’ombres à Shanghaï, aux scènes à Macao, l’impressionnant final en Ecosse… En plus d’être très consistant, Skyfall est d’une très grande beauté, à l’image de ce sublime générique, qui annonçait déjà la couleur.


C’est en affrontant son ombre, en revenant sur sa terre natale, en s’associant et en se confrontant aux figures qui l’ont créé, que James Bond se retrouve et se reconstruit, et que l’univers dans lequel il évolue sort de sa torpeur. Beaucoup de James Bond se contentaient de raconter une mission, parfois avec réussite tout de même, mais Skyfall montre que l’on peut faire autre chose, que James Bond ce n’est pas que du divertissement, que le matériau de base peut aboutir à une œuvre cinématographique complète et ambitieuse. Il était temps que James Bond s’extirpe de cette image d’agent un brin ringard que ses détracteurs lui donnaient, et dont les producteurs semblaient eux-mêmes avoir conscience. Les flammes se sont déchaînées pour détruire le vieux monde, et permettre la naissance d’un nouveau.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 11 oct. 2020

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