Le cinéma, c'est l'art de l'illusion. Oui. Sauf quand De Palma s'y colle. Brian prend un malin plaisir à casser, pour notre plus plaisir, les artifices du 7e art et Snake Eyes s'offre (humblement, sous la forme d'un thriller géopolitique a priori convenu) comme un de ses films les plus radicaux en la matière. D'abord la scène d'ouverture, le fameux faux (mais jouissif) plan-séquence qui ne peut qu'évoquer la course poursuite de Carlito's Way, repris comme un leitmotiv tout au long du film à travers les points de vue des personnages. Il y a du Rashômon qui ne dit pas son nom dans cette construction depalmesque au possible où la vérité ne peut être qu'effleurée (et encore ...) que dans l'agglomération des dispositifs de mise en scène (le plan séquence en est déjà un, De Palma a bien conscience que le procédé est factice, mais il y a aussi les plans de caméra surveillance). Tout dans Snake Eyes relève de la prestidigitation. De Palma, ce roublard majestueux, multiplie les mises en abîme et les trompe-l'oeil, tout ceci dans l'optique et dans la volonté de rendre le spectateur non dupe de ce petit jeu. De Palma, c'est un peu un petit malin virtuose mais qui a l'honnêteté de dire au spectateur que tout ceci n'est que jeu, n'est que cinéma.

Le choix de Cage, qui cabotine joyeusement, n'est évidemment pas hasardeux et participe au côté franchement mensonger (notez le paradoxe) du film. C'est toujours le même regard de cinéaste qui pointe dans le choix de Nicolas Cage, la volonté de renforcer l'artifice pour qu'il saute aux yeux du spectateur. Même chose pour ce scénario franchement improbable (voire grand-guignol) et pas forcément très bien écrit, c'est peut-être un peu le bémol du film.

Comment débute le film ? Par un mensonge face caméra d'une présentatrice TV. D'ailleurs, force est de constater que De Palma est fasciné par le dispositif de mise en abîme (un média qui filme un média qui filme un média). Si la scène d'ouverture est reprise par différents médiums (et ceci préfigure assurément le Gummo de Harmony Korine où une même réalité est captée à partir de plusieurs dispositifs de mise en scène), c'est encore une fois pour en clamer l'artifice.

Mais étrangement, et c'est tout le paradoxe de Snake Eyes, c'est que De Palma ne tombe jamais dans l'exercice de style grandiloquent, garde une humilité à l'égard de son film franchement admirable et une mise en scène toujours plus maniériste (mais c'est le jeu !) et virtuose. C'est pour cela que Snake Eyes reste un vibrant hommage à l'art de l'illusion. Même si De Palma châtie (en montrant les ficelles du média), il aime bien au fond. S'il adopte totalement le point de vue de l'artifice, du prestidigitateur, ce n'est pas pour ironiser cyniquement sur le 7e art, c'est pour mieux le célébrer.

C'est décidé, faut que je revois tous les films de ce cher Brian.
Nwazayte
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le 17 janv. 2014

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Nwazayte

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