"Snow Therapy" est un film traitant de l'image, de la représentation. La famille, ici idéal-typée, n'existe que dans le regard. Dans celui d'autrui et dans le sien. Elle se perd et s'oublie dans son propre rôle, ce rôle de modèle social et économique de nos sociétés occidentales. Car nos protagonistes répondent avec zèle et aveuglement aux injonctions sociales incitant au succès, à la réussite et au bonheur, compris ici essentiellement comme matériellement (smartphone, hôtel de luxe, drone). Ils n'envisagent même pas remettre en question les règles du jeu, car cela consisterait à remettre en question la propre image qu'ils ont d'eux-même. Le langage se limite à une parole parlée et contraste avec les faits. Non, Ebba et Tomas ne sont pas "réjouis", "heureux" dans ce "cadre de rêve" propice aux privilégiés. Clairement, ils s'emmerdent. Mais, parce qu'ils répondent avec brio aux règles sociales (Argent, Famille, Vacances), ils croient, car c'est une croyance, qu'ils sont heureux.


Avec une ironie profonde le metteur en scène, Ruben Östlund, parvient à pointer du doigt ce bonheur de façade, sans substance, fade. Notre famille moderne est désenchantée et hétéronormée. La scène où les quatre membres de la famille sont allongés paisiblement sur le lit rappelle les quatre soeurs de "Virgin Suicides" plongées dans un ennui profond issu de leur manque de liberté de droit. Ici, ils semblent prisonniers de leur système représentatif.


La famille donc devient pathétique au moment où tout son système de représentation est bousculé. C'est-à-dire lors de cette avalanche, que filme par ailleurs Tomas avec son iPhone (il serait idiot de manquer la sauvergarde de ce moment "exceptionnel" dans un cadre "d'exception"), qui pousse ce-dernier à fuir lâchement en laissant femme et enfants, acte contraire à la morale de nos sociétés patriarcalo-hétéroexuello-monogames. Tomas n'a pas répondu à son impératif, sinon catégorique du moins social, de porter soutien et dévouement à ce qu'il est censé avoir de plus cher au monde.
Alors qu'il est dans le déni son acte, sa femme est atteinte dans son estime car Tomas n'a pas "joué le jeu", celui du père de famille. Son individualisme à ce moment précis est révélateur d'un individualisme général où chacun se place dans un système hiérarchisé pour en tirer le plus grand profit personnel.


Le spectateur, qui existe entre autre dans les yeux des personnages secondaires et plus particulièrement dans l'homme à tout faire de l'hôtel, est désabusé face à la crise inattendue que subit la famille. Si au début tout paraît normal, c'est-à-dire répond à la norme, le pathétique prend le pas lorsque, en raison de l'introspection à laquelle doivent se livrer les parents, ceux-ci se retrouvent face à l'étrangeté de leur être. Le "comme si", cette image qui s'illustre parfaitement dans les photos de la famille belle et unie au ski, s'effondre. Mais la famille parvient malgré tout à surmonter cette crise et peut continuer à reprendre sa vie normale, à faire "comme si" elle était une famille idéale et épanouie.

Longhairedlady
7
Écrit par

Créée

le 20 janv. 2016

Critique lue 260 fois

1 j'aime

Longhairedlady

Écrit par

Critique lue 260 fois

1

D'autres avis sur Snow Therapy

Snow Therapy
mymp
7

Les survivants

Tomas est un con. C’est surtout un lâche qui, en vacances au ski dans les Alpes avec sa femme et ses deux enfants, préfère les abandonner à leur sort pour sauver sa peau quand une avalanche menace de...

Par

le 25 janv. 2015

46 j'aime

12

Snow Therapy
magaliiw
7

Degré de pénétration psychologique élevé

Snow Therapy enfouit le spectateur dans une situation troublante, qui questionne les fondements de la famille mais aussi de l'individu à part entière. Cette introspection, réalisée de manière...

le 28 janv. 2015

31 j'aime

Snow Therapy
B-Lyndon
6

La maîtrise et l'instinct.

C'est magistral. Et je me suis souvent demander si ça ne l'était pas un peu trop. Je me suis posé la question de savoir si ce film n'était pas finalement un peu écrasant - avec ses plans qui font...

le 6 févr. 2015

27 j'aime

3

Du même critique

La Chimère
Longhairedlady
8

Rimbaud en terre étrusque

Après Les Merveilles (2014) et Heureux comme Lazarro (2018), Alice Rohrwacher poursuit sa quête des origines en terre étrusque. Avec La Chimère, on suit Arthur (Josh O’Connor), un étranger, un...

le 10 déc. 2023

3 j'aime

1

La Faute à Voltaire
Longhairedlady
8

Critique de La Faute à Voltaire par Longhairedlady

Pour un premier film, Abdellatif Kechiche fait fort. On retrouve déjà toutes les qualités de son cinéma méticuleux et exigeant, préférant le sous-texte et l'émotion vive à la description et la...

le 8 avr. 2016

3 j'aime

La Vie rêvée des anges
Longhairedlady
6

Critique de La Vie rêvée des anges par Longhairedlady

Lorsque j'ai découvert l'existence de ce film, j'ai ressenti le besoin immédiat de le voir. Non pas pour les multiples récompenses, à Cannes ou aux Césars, du premier film du (très) peu prolifique...

le 23 mars 2016

1 j'aime