Une tentative réussie de piloter le blockbuster sur des rails moins empruntés...

Après avoir vu Snowpiercer en avant-première à l'Etrange festival début septembre comme une variation maline mais plutôt inconséquente de blockbuster, il est temps de réévaluer quelque peu le film, à l'aune du souvenir suffisamment précis que j'en conserve. Pour ceux qui ne l'auraient pas vu (le film n'étant pas encore sorti en salles), une petite mise en garde s'impose quant aux éléments que je suis susceptible de révéler dans cet article.

Plus que le film d'un cinéaste coréen adapté d'une bande-dessinée française et financé par des capitaux américains, Snowpiercer s'impose comme une zone de rencontre entre deux modes culturels majeurs: l'Occident (à tendance fortement américanisé) et l'Orient (plus précisément l'Asie). En résulte une oeuvre hybride, rendue bancale par les courants contradictoires qui la traversent, mais finalement passionnante dans ce qu'elle dit du cinéma (plus que du monde actuel, d'ailleurs, même si nous soulèverons par la suite quelques pistes intéressantes).
Le casting est à l'image du style du film: il opère un savoureux mélange culturel. Ne serait-ce que dans l'idée de faire cohabiter Chris Evans et Song Kang-Ho, autrement dit l'acteur typique de blockbuster américain (charisme physique, jeu monolithique) et l'acteur de films coréens à succès (prêtant ses traits à des personnages souvent foutraques), le cinéaste Bong Joon-Ho s'amuse. A partir d'un postulat de SF digne d'un jeu vidéo (la structure d'évolution par paliers évoque la nécessité de franchir des niveaux pour atteindre le "boss" final), l'auteur de The Host construit un récit à la tonalité fortement originale, basée sur le principe de rupture. En effet, l'idée du film, qui le fait se démarquer du tout-venant, consiste à dynamiter de l'intérieur le prototype du blockbuster américain classique en mêlant le sérieux et la farce. Cette dimension grotesque, tout droit héritée du cinéma asiatique dont Bong Joon-Ho est l'un des fers de lance, est bien plus qu'un simple effet de style: traiter la violence par l'absurde, c'est porter un regard fort sur la condition humaine. L'acuité de ce regard teinté d'extravagance sur une violence jamais édulcorée constitue la principale force du film. Ainsi, la scène centrale de la bataille, qui succombe à des effets de style (notamment des ralentis), se révèle assez laide et gratuite, tandis que la scène du wagon-scolaire ou du wagon-vestiaire (la première, par son grotesque assumé, et la seconde, par sa brutalité sans compromis) offrent un rendu stupéfiant d'audace. Les dernières minutes du film sont également remarquables: Bong Joon-Ho évacue toute considération héroïque ou sacrificielle (la mort du protagoniste n'est aucunement mise en valeur), et, en pied-de-nez savoureux au cinéma hollywoodien, propose une redistribution inédite où le choix des survivants (une adolescente asiatique et un petit garçon noir) invite à penser que le peuple occidental n'est plus celui de l'avenir. Sur le fond, le film a plus de mal à se démarquer des oeuvres matrices du genre. Pour autant, les enjeux éthiques et questionnements politiques restent passionants (le fonctionnement d'un régime totalitaire, la façon dont le système construit et entretient sa propre marginalité, l'attitude animale de l'être humain dans des conditions extrêmes), notamment dans la dernière demi-heure, toute en dialogues. Quant au protagoniste joué par Chris Evans, il se révèle plus fouillé que dans la plupart des blockbusters, car plus ambigu (son terrifiant passé, le choix d'abandonner son meilleur ami dans la bataille centrale).

Snowpiercer est au final suffisamment bien conduit pour prendre des virages dangereux sans pour autant dérailler.
CableHogue
8
Écrit par

Créée

le 27 oct. 2013

Critique lue 545 fois

11 j'aime

1 commentaire

CableHogue

Écrit par

Critique lue 545 fois

11
1

D'autres avis sur Snowpiercer - Le Transperceneige

Snowpiercer - Le Transperceneige
Strangelove
8

I like Trains !

Comment vous expliquez cela ? Comment vous exprimer toute l'excitation qui est la mienne à la sortie de ce film ? Je l'attendais vraiment énormément. Certes moins que Gravity. Mais au final, le film...

le 30 oct. 2013

170 j'aime

27

Snowpiercer - Le Transperceneige
Sergent_Pepper
5

Notre train (train) quotidien

Face à Snowpiercer, deux choix s’offrent au cinéphile : voir un blockbuster de qualité, ou voir le décevant nouveau film de Bong Joon-Ho. Pour peu qu’on m’ait trainé dans un cinéma pour un film...

le 9 déc. 2013

149 j'aime

20

Snowpiercer - Le Transperceneige
Gand-Alf
8

L'esprit dans la machine.

A l'instar de ses compatriotes Park Chan-Wook et Kim Jee-Woon, le sud-coréen Bong Joon-Ho tente à son tour de séduire le marché international avec cette co-production entre la Corée du Sud, les USA...

le 15 nov. 2013

124 j'aime

3

Du même critique

Night Call
CableHogue
4

Tel est pris qui croyait prendre...

Lou est un petit escroc qui vit de larcins sans envergures. Seulement, il veut se faire une place dans le monde, et pas n’importe laquelle : la plus haute possible. Monter une société, travailler à...

le 25 nov. 2014

94 j'aime

36

Anomalisa
CableHogue
6

Persona

Anomalisa est un bon film-concept. Cependant, comme tout film-concept, il obéit à une mécanique qui, bien que finement élaborée, ne tient qu’un temps. La première demi-heure est absolument...

le 30 janv. 2016

69 j'aime

7