Fable cruelle sur le pouvoir, plus précisément communiste, Soleil Trompeur est d'abord un film sur la trahison. D'abord torrent de vitalité avant de sombrer dans les eaux mortes d'un "soleil noir", il parvient à créer un excellent équilibre entre comédie et tragédie à travers les dualités famille et vie politique, amour et mort, sincérité du cœur et mensonge de la raison.
Personnages ayant réellement existé, Mitia (Oleg Menshikov) et le colonel Kotov (le réalisateur lui-même, Nikita Mikhalkov) servent surtout à illustrer l’État communiste de l'URSS au plus fort de sa période répressive. Derrière l'illusion d'une unité, les camarades se livrent des guerres fratricides cachées au sein même du gouvernement à travers l'arme redoutable des services secrets. Leur histoire, par sa valeur symbolique, revêt donc la forme d'une fable ou d'une parabole illustrant le pouvoir de l'époque.
Néanmoins, rien ne laissait présager de cela dans la première moitié du film, tant semble sincère et inébranlable le soleil parmi lequel baigne la verdoyante campagne soviétique et la datcha du Colonel et de sa très vivante famille. En plus de cet élan de vitalité entraîné par la musique jouée par le virtuose Mitia et les danses rieuses et légères des femmes, les nombreux ressorts comiques (répliques, personnages loufoques, scènes cocasses du masque à gaz ou du lit qui grince, musique accompagnant l'arrivée du "super-héros" stoppant les chars, ...) installent une ambiance déjantée à la Fellini, la démesure baroque en moins.
Puis, malgré la tragédie qui attend, tapie, sous la peau tailladée de roses poignets ou dans le silence de l'eau, il y a l'amour, filial et marital, que magnifient de splendides photos, comme celle du couple réuni dans une seule ombre lorsqu'il fait l'amour dans le grenier et qu'une lumière encore vraie traversent ou celle de la petite fille qui passe son visage dans la diagonale du portail, qui plus tard la séparera à jamais de son père.
Enfin, le soleil tourne, révèle son autre lumière, froide et calculatrice. C'est le règne de l'illusion, des faux-semblants, du mensonge (la scène où Mitia et le colonel se batte dans la forêt et feignent devant l'enfant de jouer allant dans ce sens, montrant les luttes intestines d'un monde secret dissimulé au commun des mortels). La trahison, omniprésente jusqu'à alors quoique à l'état latent, menaçant de s'accomplir à n'importe quel moment, épée de Damoclès reposant au-dessus des têtes des deux protagonistes, a lieu.
Et l'on comprend alors le titre: la trahison du soleil, le Soleil trompeur, c'est l'image finale d'un Staline dont le portrait flotte dans le ciel comme l'astre de la vie, d'un communisme dont le symbole trône également dans la première image du film au milieu d'un ciel gris.