Se lancer dans la critique d'un film de Malick, c'est toujours un saut dans le vide. Impossible d'en tirer autre chose que des théories, le cinéaste ne cherchant au final, dans une logique philosophique, qu'à poser des questions sans jamais donner de réponses. En résulte un sentiment d'inaccessibilité assez fort pour nous, pauvres hères encore traumatisés par le prof de philo (un peu cinglé) de terminale. Mais en dépit de ces difficultés, c'est l'occasion de fournir un effort d'analyse toujours plus intéressant que de cracher sur le dernier Transformers. C'est parti.


La question qui semble animer Song to Song, c'est celle de son sujet. De quoi ça parle ?


Deux possibilités. La première, celle qui semble être la plus populaire, c'est celle du couple. Dans ces relations parfois vagues et confuses qui animent un quartet d'acteur mixte, on décèle une certaine frénésie presque monstrueuse, qui fait passer "from song to song" ces compères en roue libre dans une logique anarchique que toutes les personnes dotées de sentiment connaissent bien. La deuxième, qui se dessine de plus en plus au fur et à mesure du déroulement du long-métrage, c'est celle du luxe. Song to Song, mais surtout ses personnages, baignent dans un luxe qui passe dès lors au second plan, au propre comme au figuré. Habitués à un monde qu'on ne connaîtra jamais (mais que le casting connaît bien), ils finissent par ne voir la réalité qu'à travers leur personne, seule vectrice de sensationnel dans une vie où le sensationnel est partout. Ces sentiments parfois violents, c'est peut-être aussi la seule chose qui les rend vivants. Deux perspectives intéressantes, donc.


Seulement voilà: dans les deux cas, Malick filme encore de la métaphysique. Le rapport à l'argent et les relations humaines, voilà deux thèmes qui méritent une mise en scène à hauteur d'homme.
Mais non. Le narrateur visuel et sonore parait complètement détaché de ces protagonistes qu'il observe de loin sans vraiment chercher à les comprendre où à les mettre en valeur. Ils ne sont que des morceaux de vie finalement très froids, comme des fantômes qui traversent une narration en lambeaux. Comment rendre compte de ces choses là sans garder les pieds sur terre ? Peut-on réellement filmer l'Homme comme on filme l'immensité de la nature ? Comment accorder du crédit à une oeuvre de passage, qui prétend montrer le tout en découpant les parties ? Toutes les voix off du monde ne suffisent pas à le camoufler: Song to Song est un film cynique, un film qui hisse à tort le point de vue cinématographique au dessus du commun des mortels.


C'est à force de considérer la narration classique comme l'ennemie du cinoche réflexif que Malick donne à son oeuvre une teinte de plus en plus aristocratique alors que le 7ème art demeure indéniablement l'art des prolos. Qu'importe la beauté de ces plans furtifs, presque volés à la réalité: se détacher de tout pour nous parler de nous, ça ne marche pas. Quand on se retrouve à voir des protagonistes mal dans leur peau filmés de la même manière que les rochers de Voyage of Time, on se dit que la prise de distance n'excuse pas tout.


Alors bien sur, tout ceci n'est qu'une interprétation parmi d'autres. Ce que Brundlemouche voit comme un défaut est peut-être en fait une force. Mais une chose est sûre: il préfère largement La Ligne Rouge.

Jabo
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le 13 juil. 2017

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Jabo

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