Avant de parler du film à proprement parler, il est indispensable d'introduire cette critique par une petite présentation de la Deuxième Symphonie de Gustav Mahler intitulée Résurrection. On en entend le scherzo à deux reprises pendant Song To Song et cela a un sens.


Ce scherzo, noté sur la partition In Ruhig fliessender Bewegung (dans un mouvement tranquille et coulant) s'inspire d'un Lied dans lequel Saint Antoine fait un prêche aux poissons qui ne comprennent rien et qui le regardent avec des yeux stupides. Mahler indique lui même que ce mouvement évoque un "monde déformé." Personnellement, j'y vois une sorte de bal avec des convives qui ne savent pas danser.


Lorsqu'on connait cette musique et qu'on l'entend à deux reprises dans ce film, on ne peut que mieux comprendre ce qui se passe à l'écran. Terrence Malick est au cinéma ce que Gustav Mahler est à la musique. Mahler voulait créer tout un monde à chaque fois qu'il composait une nouvelle symphonie. L'ambition de Malick est similaire lorsqu'il réalise un nouveau film. Mais cela a parfois pour résultat l'incompréhension du public. Song To Song, soit on déteste, soit on adore. Il ne peut pas y avoir de demi mesure. Ne venez pas chercher ici un scénario, une histoire cousue de fil blanc, vous ne les trouverez pas. En revanche, vous éveillerez vos sens, presque tous hormis l'odorat qui est encore la limite du cinéma. L'ouïe bien entendu avec cette musique enivrante qui ne se limite pas à Mahler. La vue avec des images sublimes que Malick fait défiler devant nous, en filmant souvent caméra à l'épaule, parfois en cadrant en biais, en laissant ses comédiens hors champ pour mieux nous laisser contempler la nature, souvent de l'eau d'ailleurs pour en revenir au prêche aux poissons. Le toucher également est à l'honneur, cela passe par les acteurs qui se touchent constamment, avec douceur, lenteur, sensualité. Enfin le goût, ce sont encore les acteurs qui se goûtent, qui goûtent la musique, la vie, l'amour.


Cette histoire n'est pas compliquée. On a un premier couple Fassbender Mara, puis survient Gosling qui séduit Mara, on entre dans une sorte de triangle amoureux un peu plus complexe. Puis Portman arrive et est séduite par Fassbender qui ne chôme pas. On voit bien comment les couples se font et se défont au milieu d'un songe élégiaque baigné de musique et de nature. Fassbender nous refait un peu le même rôle que dans Shame, il est une sorte d'ombre qui emporte les autres personnages dans le fond, un spectre néfaste. Gosling nous refait du La La Land, toujours aussi lumineux. Mara me rappelle son rôle dans Effets Secondaires. En revanche, Portman est inclassable en blonde bien que sublime dans son jeu. Impossible de douter que Malick ait vu tous ces acteurs dans certains de ces films avant de les recruter.


Dans la dissolution de ces couples, on contemple également la dissolution du cinéma qui devient réduit à sa portion congrue. Malick ne s'intéresse qu'aux sensations, qu'aux émotions. Il cadre souvent ses acteurs de près, ne les lâche pas quand il est sur eux avec des plans très serrés. Mais à contrario, il semble également les négliger, il fait venir Iggy Pop pour cinq minutes, nous montre un Val Kilmer totalement fou, une Cate Blanchet distante mais chacun apporte quelque chose sans toutefois être indispensable. Il se passe quelque chose, il est parfois difficile de définir quoi mais il se passe quelque chose. Pendant deux heures, on ne s'ennuie pas, on est emporté par le flot de la poésie de Malick. Malick, Mahler, une syllabe de différence mais tellement en commun dans leur art respectif. Ma dernière expérience de Malick au cinéma était Le Nouveau Monde, titre prophétique pour ce réalisateur qui crée effectivement des mondes dans ses films.

Andika
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le 30 juil. 2017

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