Deux palmes ne l’ont pas essoufflé. Pas plus que les longues années qui le sépare son premier festival de Cannes en 1970 pour Kes. Ken Loach nous livre cette année un drame familial cinglant, sous fond d’ubérisation du travail.
Fibre populaire
Une Angleterre encore pauvre. Les classes populaires, Ken Loach les connait. Il les dissèque, les analyse et surtout, il les comprend. Il leur rend hommage aussi, en plongeant ses fictions en son sein, afin de faire comprendre leurs douleurs au grand public. Il sait les filmer aussi, comme le désarroi de la famille Turner. Le père, Ricky, (Kris Hitchen) est au chômage, et est contraint de devenir driver de colis en freelance. La résignation de la mère, Abbie,- (Debby Honeywood) qui n’a d’autre choix que de vendre sa voiture pour sauver l’économie de la famille. La tristesse désarmante du fils, Seb (Rhys Stone) qui en veut à son père : une double violence va émerger. Celle de la remise en faute de la condition misérable de la famille par le fils, qui s’ajoute aux tensions générées par ses mauvais résultats scolaires. La réel force du film est de parvenir à constamment alterner des moments légers (une ballade en camion entre père et fille, un dîner heureux) avec des instants très violents. Du soleil à l’orage.
Progressisme
L’art de Ken Loach est éminemment politique, et en ce sens, Sorry We Missed l’est sans doute encore plus que son précédent, la palme d’or de 2016 Moi Daniel Blake. L’emprunte ou plutôt la destruction causée par la révolution numérique sur la pérennité des emplois est clairement mis à l’image par le cinéaste anglais. La mère vend sa voiture. Le père, qui travaille en freelance, à qui on fait miroiter une hypothétique flexibilité : il est un ouvrier, avec ses contraintes, et qui doit lui même acheter son camion. C’est une fresque d’une famille bien seule, délaissée par la société mondialisée. Un film social, mais aussi grandement didactique sur le monde contemporain. Sorry we missed you est une captation habile des multiples effets d’un capitalisme chevronné, avec des sociétés - humaines ou entrepreneuriales - largement déshumanisantes et aliénantes. Ken Loach est travailliste, son art progressiste, ses films : éducatifs et humains.