Dès les premières secondes, Sound of Metal justifie son titre par une scène de concert d’un duo métal composé de Ruben (Riz Ahmed) et Lou (Olivia Cook). Dans cette petite salle plongée dans la pénombre, la caméra de Darius Marder se concentre sur les deux artistes. Plaçant dans un quasi hors-champ les spectateurs, elle se focalise de manière organique sur les deux éléments qui composent principalement ce « sound of metal », la batterie frappée par le corps de Ruben et la bouche de Lou d’où sortent les paroles. La musique est envisagée comme un espace personnel qui n’appartient qu’à eux. Ruben et Lou forment sur scène, comme à la vie, un couple fusionnel ayant trouvé dans le nomadisme qu’impose leur profession la manière de se construire un mode de vie bohémien et alternatif dans un van aménagé. Par la séquence idyllique qui accompagne la routine matinale de Ruben – déconstruisant déjà les stéréotypes attachés à l’univers du métal, Marder entame le récit de son looser magnifique : un ancien drogué résolu à la souffrance et résigné à être une victime (de la société et de la vie).

En s’ouvrant sur un univers profondément sonore, Sound of Metal marque une rupture nette avec la perte d’audition qui émerge dans la vie de Ruben (et par extension dans celle du spectateur). L’œuvre est profondément novatrice dans l’approche de ce double silence frappant le batteur, celui entraîné par la perte auditive et celui imposé par la non-connaissance de la culture sourde. Par sa réclusion dans le foyer créé par Joe (Paul Raci), il amorce une réappropriation sensorielle du monde. Les vibrations parcourant un toboggan permettent, par exemple, un moment de connexion avec un enfant. De même, la musique resurgit par le biais d’une expérience sensible basée sur la cohésion et le mimétisme. Sound of Metal est un récit initiatique sur la nécessité d’ « apprendre à être sourd ». En prenant le temps de construire cet entre-deux entre la culture entendante et la culture sourde, Darius Marder se dresse contre une vision réductrice attachée à cette dernière. Ici, les personnages clament qu’ils ne sont pas handicapés et surtout qu’ils n’ont pas besoin d’être réparés.

Avec justesse, l’œuvre pose la question du dilemme propre aux nouveaux sourds : l’acceptation plénière de sa condition de sourd ou la possibilité d’une opération amenant l’espoir d’entendre à nouveau. Le « sound of metal » n’est alors plus celui de la musique jouée avec sa bien-aimée, mais ce son robotique et métallique reconstitué par ondes électriques. Alors que ce dilemme aurait été une fin suffisante répondant à cette volonté de portraitiser une multiplicité des destins de la communauté sourde, Sound of Metal s’affadit dans une ultime partie complexifiant inutilement le récit. Dans une tentative de reconquête sentimentale, Ruben se heurte au microcosme bourgeois dans lequel a évolué Lou par le biais de son père (Mathieu Amalric). Dénaturant la première partie romantisée du film, ces enjeux classistes apportent une dramatisation exacerbée doublant la distance « auditive » entre les personnages d’une distance économique non-nécessaire (faisant de la pratique musicale une « lubie »).

Malgré cette dernière partie, Sound of Metal reste une œuvre essentielle dans sa magnifique appréhension de la culture sourde, de ses difficultés comme de ses joies. Entouré d’acteurs et d’actrices étant membres de la sourde, Riz Ahmed accompagne, par la richesse infinie de son jeu, cette incursion cinématographique bâtie sur l’introspection de l’âme et sur l’expérience du corps.

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le 13 juin 2021

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