Soy Cuba est un film de propagande, on ne peut le nier. Son manichéisme idéologique peut rebuter en particulier les allergiques au régime controversé mise en place par Fidel après la révolution.
Mais Soy Cuba mérite vraiment de passer outre cet aspect propagandiste car rarement un film n'aura su rendre un aussi bel hommage à un peuple. On reconnait ici le don traditionnel des russes pour dépeindre brillamment des sociétés. Ainsi, à la manière des grands auteurs russes, Mikhail Kalatozov cherche à exposer l'âme du peuple cubain. Pour ce faire, il divise son film en 4 parties qui mettront en scène des personnages sans lien hormis le fait d'être cubain.
Le plan d'ouverture, très impressionnant, nous offre un survol des forêts cubaines avec des plans qui ont surement fait saliver notre Yann Arthus Bertrand. L'ouverture sera pourtant la seule scène aérienne du film. Le plan séquence qui suit met la caméra, le film et le spectateur à même le sol. La caméra restera à ce niveau pendant les deux prochaines heures. Ce niveau c'est celui des hommes, celui du peuple qui est le véritable héros du film. Les plans séquences se multiplient alors tous plus grandioses les uns que les autres et semblant défier toutes les limites techniques de l'époque. Mais loin d'être une simple démonstration technique, les plans séquences servent un but précis: celui de mettre en lien l'ensemble des individualités qui composent le peuple cubain. Le film reste centré sur des personnages qui font l'objet de nombreux gros plans qui évoquent les films d’Eisenstein. Ceux-ci font transparaitre toutes les émotions du peuple cubain: l'humiliation, le sentiment de révolte, le désespoir, la tristesse, la joie... Et pour lier chacun de ses personnages Kalatozov use de ses longs plans séquences qui donnent une unité cinématographique à ce peuple. La technique épouse ainsi parfaitement la dimension identitaire du film. Ce procédé est magnifiquement mis en évidence dans le plan séquence des funérailles. Il débute près du cercueil défilant dans la foule, avant de s'élever sur les toits pour filmer des travailleurs qui agitent un drapeau cubain au dessus du cortège. La séquence finale du film est ainsi à l'opposée de la scène d'ouverture, les plans aériens sont remplacés par une caméra noyée par le défilé des guérilléros symbole d'un peuple désormais uni dans la révolution.
C'est cette ode lyrique à la force collective d'un peuple qui donne à l’œuvre une aura intemporelle et en fait une expérience cinématographique exceptionnelle.