Spetters
7.3
Spetters

Film de Paul Verhoeven (1980)

On se cogne beaucoup, dans Spetters : rixes, accidents, heureuses coïncidences ; tout ce que la vie offre d’abject comme d’agréable se donne aux personnages dans le tumulte du heurt et du conflit. Il n’y a ainsi que peu de contraste entre la violence d’une sortie de route et celle de l’éveil sentimental d’un jeune homme ; dans un cas comme dans l’autre, la dureté du choc est le prix à payer pour assumer pleinement son ipséité. Signe caustique de cet état de fait : Fientje offre une brique à Rien, à la fois métaphore de la construction d’un couple et signe funeste de sa déchéance future. De fait, ce qui impressionne tout particulièrement dans Spetters, c’est son montage d’une grande habileté qui sous-tend une construction à la dialectique retorse (comme plus tard dans Black Book) : chaque évènement qui scande la vie des personnages, ressemble à une médaille à tout moment susceptible d’être retournée pour exhiber son revers ; tout jalon constructif contient dès lors en germe son propre anéantissement ; anéantissement lui-même créateur, puisque c’est précisément sur les ruines de ce qui a été détruit que les protagonistes les plus rusés jetteront les bases (précaires) de leur nouvelle vie. En témoigne le dernier mouvement du film, véritable apothéose : alors que Gerrit Witkamp (campé par un Rutger Hauer impérial !), le champion de motocross adulé par la jeunesse prolétaire de Rotterdam, est fêté dans un bar (celui des parents de Rien, justement), défilent à la télévision les images de l’une de ses interviews très autorisée, puis brusquement, celles d’un bêtisier tourné à l’insu du naïf de la bande (qui après Rien, devenu impotent, croit se voir en Gerrit comme en un miroir), et qui viennent révéler tout le cynisme de cette figure tant adulée, dont le succès dissimule la misère (sociale, existentielle) de ces adolescents sans autre horizon a priori que la mort ou l’aliénation. Ni une, ni deux, ce sont quasi simultanément ces images trompeuses et les illusions d’une jeunesse perdue (les trophées de Rien) que l’on envoie valser dans un capharnaüm aussi jubilatoire que désespéré (le montage parallèle avec les velléités suicidaires de Rien) : la télévision passe à travers la vitre de l’établissement (pour finir en déchet abandonné sur le bord du trottoir), l’écran entre vie fantasmée et âpre réalité se trouvant par-là même aboli (c’est juste après cet acte de vandalisme que la police arrive pour prévenir ses parents de la mort de Rien, à travers la vitre brisée de la devanture). Et c’est peu de temps après que Verhoeven filme Fientje en train de projeter sur les ruines de cette gloire mythifiée, ses rêves d’opulence et de triomphe, désormais bien tangibles, dans un surprenant accès de romantisme cynique.


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le 7 oct. 2016

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