Spetters
7.3
Spetters

Film de Paul Verhoeven (1980)

Il fallait bien que Verhoeven s’attaque à la jeunesse. Spetters pourrait être considéré comme son Outsiders à lui : un regard sur les adolescents, une époque, l’aube des années 80 en Hollande, avec tout l’anti-glamour que cela suppose.
Dans Spetters, on fait avec ce qu’on a malgré soi : la séquence d’ouverture, qui voit trois départs simultanés de jeunes hommes à moto saluant leur père métaphorise le désir de la jeunesse : larguer les amarres.
Mais dans ce monde sclérosé, la confrontation entre le désir et le réel s’avère la plupart du temps fracassante : sous les coups du paternel, l’immuable bitume qui brise les jambes ou la violence des voyous qui mettent à sac tout ce qui leur tombe sous la main.


Verhoeven ne tombe pas pour autant dans la caricature : certes, l’Eglise est mentionnée, et les figures parentales ne sont pas présentées comme des repères ; mais le regard ambivalent qu’il pose sur ses protagonistes empêche tout manichéisme. La scène ou les deux couples font semblant de faire l’amour dans un entrepôt est en cela révélatrice : l’un ne parvient pas à avoir d’érection, l’autre a ses règles, mais ce qui compte, c’est de faire croire à l’autre couple qu’on est à la hauteur. Cette obsession de la réussite et du regard des autres conditionne la plupart des comportements : un des personnages brutalise les homosexuels afin de mieux différer son propre coming out, l’autre renonce à toute rédemption à partir du moment où il se retrouve en fauteuil roulant.


La figure féminine correspond bien à cet esprit, et rejoint les grandes figures de Verhoeven, de Katie Tippel à La Chair et le Sang : le modèle de l’ambitieuse qui va passer d’un ami à l’autre (sur le modèle assez similaire du Four Friends d'Arthur Penn) en jaugeant les avantages personnels qu’elle peut en retirer. Chez Verhoeven, il faut se compromettre pour s’en sortir, et laisser un peu de la laideur du monde vous souiller.


Car il s’agit bien de cela : les individus face à la foule, toujours mouvante ; ce thème génère de belles images, qu’il s’agisse des lignes de départ saturées de motos, de la foule des fervents religieux et surtout de la figure de Rien, l’un des personnages principaux qui s’en écarte à partir du moment où il perd l’usage de ses jambes, slalomant entre ceux qui l’accueillent avec compassion, puis quittant la cohue pour aller se jeter sous un camion.


Le monde est inhospitalier : la figure du héros (Rugter Hauer, qui fait quelques apparition en champion du monde) est au mieux inaccessible, au pire une ordure prêt à humilier les autres comme des faire-valoir.


Cette noirceur que ne renierait pas Pialat (on peut songer à ses portraits un peu similaires dans Passe ton bac d’abord, notamment) ne cherche pas à délivrer une morale, mais à livrer le réel de façon brutale. Quelques bribes d’espoir, quelques ébauches de constructions illuminent çà et là un quotidien bien morne. Mais, qu’on considère le projet du pub ou celui du personnage désirant rester chez lui pour un jour rendre ses coups à son père, ces élans positifs se font toujours au prix de la violence, constat aussi lucide que désabusé sur la nature humaine.


(6.5/10)


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Sergent_Pepper
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le 24 mai 2016

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Sergent_Pepper

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