Une sombre et douce poésie post-apocalyptique
Avez-vous déjà tenté de raconter à quelqu'un un poème que vous aimez, sans le lui réciter ? C'est impossible, car un poème ce n'est pas une (ou pas qu'une) histoire, c'est un ensemble d'effets de style qui le recoupent et qui liés ensemble par un lien unique dégagent quelque chose d'unique.
Stalker, c'est ceci.
On ne raconte pas Stalker, il faut le voir, il faut le vivre.
C'est avant tout une ambiance, une ambiance unique. Unique par sa musique, envoûtante, douce, mystérieuse. Une musique qui apaise, d'une légèreté faisant penser à une caresse. Unique par sa photographie, d'une beauté et d'une finesse remarquable, naviguant entre le noir et blanc, la couleur, et même le sépia. Unique par sa réalisation, par son silence, par sa lenteur qui pourra repousser bien des spectateur (malheureusement). Unique par une caméra qui ne se déplace que lentement, très lentement, qui s'attarde sur les détails d'un décors brumeux et humide, d'un décors sans vie et vivant à la fois, qui s'attarde sur ses personnages, sur leurs expressions, avec une légèreté encore une fois unique. Par une caméra qui multiplie les plans fixe, qui filme autant de près que de loin. Par une caméra qui donne à la fois vie à ses personnages, et à son décors, son cadre, la Zone.
La Zone, seul lieu d'espoir dans un contexte post-apocalyptique, qui d'après les dires renferme une Chambre capable d'exaucer tous les voeux. Mais la Zone a ses pièges et ses caprices, elle n'accepte pas tous les êtres, elle les sélectionne, et pour atteindre la Chambre il faut être guidé d'un passeur, un Stalker, qui n'emmène avec lui que les hommes sans espoirs.
Car si j'ai parlé de la douceur qui enveloppe le filme et lui donne un charme si particulier, ce n'est pas que cela. Stalker, c'est aussi la peur, une peur paranoïaque. La peur de ne pas savoir si l'on devrait ou non avoir peur, la peur de croire aux mystères de la zone ou de ne pas y croire, la peur de rien, la peur de tout, la peur du monde qui nous entoure, la peur de ce qui vit au plus profond de nous. La peur du moindre objet, du moindre vent, du moindre son, de la moindre interaction avec l'environnement.
Et le spectateur regarde ceci d'un oeil intrigué, ne sachant ou non s'il doit s'inquiéter pour les personnages, croyant tantôt aux pièges de la Zone, n'y croyant tantôt pas. Comme les personnages, on ne sait où se trouve la réalité, on ne sait pas à quoi croire, mais on se surprendra à retenir notre souffle dans certaines scènes, aplatis par l'ambiance pesante offerte par la réalisation.
Stalker, c'est le charme de croire un quelque chose de magique, au bonheur ultime, dans un contexte de malheur post-apocalyptique. C'est y croire, ou ne pas y croire... C'est une oeuvre métaphysique bourrée de réflexion sur le rapport au monde, le rapport à la vie, le rapport à la croyance, à l'espoir. C'est un voyage initiatique au fin fond du genre humain, à travers ces personnages tous différents qui se confrontent, confrontent leur point de vue par rapport à ce qu'ils vivent dans cette Zone, par rapport à leur croyance.
Et à la fin il ne s'agit que de savoir ce que l'on croit, ce que l'on veut croire, et de quel côté l'on se place. La vérité n'est pas donnée, et c'est à tout un chacun de se donner son interprétation de cette fabuleuse oeuvre qu'est Stalker. Car on ne peut connaître la vérité, puisque nous ne savons rien de ce monde post-apocalyptique, puisque sa logique nous dépasse. Tout est possible, et tout est impossible. Mais d'un côté il y a le pessimisme, de l'autre l'optimisme, mais il y a également un entre-deux, le mélange entre la raison et l'espoir. Entre-deux ou je me situe, étant particulièrement touché par la magie de ce film.
Mais encore une fois, on ne peut raconter Stalker, et cette critique que je viens de faire n'est que futilité. Il faut le voir. Il faut le vivre.
Comme une poésie, ou comme un tableau...