Publier une critique de Stalker ! Qui suis-je pour juger un Tarkovski au sommet de son art ? J’ai l’ai revu hier, pour la quatrième fois. À défaut de critique, je proposerai des éléments de compréhension, voire, plus humblement, des interprétations personnelles.


Il y a quinze ans, en spectateur attentif et rationnel, je m’étais concentré sur l’histoire et n’avais rien compris. J’ai remisé la vidéo au fond d’un tiroir. Je ne l’ai reprise que récemment, après avoir apprécié Ivan Roublev et Solaris. J’ai accepté de lâcher prise et de me laisser porter par l’image et sa beauté. Je suis néanmoins resté sur ma faim. J’ai voulu aller plus loin, j’ai persévéré, à deux reprises. Bel effort, vous en conviendrez. J’ai travaillé mon sujet. J’ai lu une interview de l’auteur, des travaux sur son œuvre, de multiples avis fort variés. J’ai repris le DVD et me suis astreint à écouter et à me laisser porter par les textes. L’auteur insistait : « Nous sommes très fautifs envers le verbe. Le verbe n'a de force magique que lorsqu'il est vrai. » J’ai écouté et entendu les cris, les gémissements et les digressions…


Andreï Tarkovski s’inspire d’un roman d’anticipation des frères Strougatski, qu’il exécute en cinq phrases sur le carton d’introduction : « … A quoi cela était-il dû ? A une chute de météorites ? A des visiteurs en provenance du vide cosmique ? Toujours est-il que dans notre petit pays apparut la merveille des merveilles : la ZONE. Nous y envoyâmes immédiatement des troupes. Elles ne revinrent jamais. Alors nous entourâmes la Zone de cordons policiers. Et nous fîmes certainement bien. En fait, je ne sais pas, je ne sais pas… » Il ne sera plus question de science lors des trois heures suivantes. Tarkovski déteste la technologie et les machines qu’il considère comme « des symboles de l'erreur de l'homme ». Il ne conservera que le dépaysement de la Zone et la fiction. Sa Zone recèle une Chambre qui exaucerait le désir le plus intime des impétrants. Ne raconte-t-on pas qu’un homme qui venait y quérir la guérison de sa fille en est ressorti richissime ?


Nous embarquons en voiture avec trois hommes.
• Le stalker est l’un des rares humains à avoir apprivoisé la Zone interdite et la Chambre. Cousin de l’Idiot de Dostoïevski, ce mystique avoue son angoisse pour l’homme : « Devenu sec et dur, il meurt. », « Ils ne croient en rien. L’organe de la foi s’est atrophié en eux. » Il proclame sa propre foi sans pour autant la définir, nous laissant notre entière liberté de conscience.
• Un scientifique, qui a juré de détruire la Chambre.
• Un écrivain, jadis à succès, qui a perdu l’inspiration.


Après une brève séquence de course-poursuite, ils pénètrent dans un Éden vide et silencieux. Le stalker avance avec, pour seule arme, une poignée de boulons enrubannés. Le danger se lit sur les visages. La tension monte. Les trois compagnons discourent abondamment : peu de dialogues, mais des monologues plus ou moins enchevêtrés, entrecoupés de poèmes d’Arseni Tarkovski, le père d’Andreï, déclamés par différentes voix off.


Voilà la Chambre. Simple passeur, le guide s’interdit d’y pénétrer. Ses compagnons hésitent puis renoncent à leur tour. Sans transition, nous découvrons le stalker chez lui, en famille. Que s’est-il passé ? L’auteur ne propose pas de réponse univoque. Le scientifique a reconnu sa jalousie et s’en est allé. L’écrivain a hurlé à la supercherie et s’est éloigné ; pouvait-il vivre et écrire une fois comblé ? Manifestement non. La caméra s’est déplacée et s’est introduite dans la Chambre avant de se retourner et de s’attarder sur les trois visiteurs vaincus. Si présence il y a, “elle“ nous observe et nous attend. Allons-nous y pénétrer à notre tour ? Si oui, quel est notre désir inassouvi ? Le vrai ? Je laisse conclure l’auteur : « (…) mes films ne sont pas une expression personnelle mais une prière. Quand je fais un film, c'est comme un jour de fête. Comme si je posais devant une icône une bougie allumée ou un bouquet de fleurs ».


P.S. : Les deux citations sont tirées d’Une lueur au fond du puits ?, un article de Thomas Johnson.
Revu en 2017.

Créée

le 16 sept. 2015

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Step de Boisse

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