L’appât est appétissant mais la ficelle est grosse!

Si la sortie du dernier Star Wars me laissait de marbre, que ce soit avant ou après l’avoir vu, il reste un objet d’analyse particulièrement fascinant. Pas pour sa qualité cinématographique, mais bien pour ce qu’il dit du monde du cinéma. Brève rétrospective.


Il faudrait être d’une mauvaise foi totale ou penser le cinéma de façon hémisphérique pour ne pas reconnaitre l’impact qu’a eu Star Wars sur le cinéma (même la prélogie !). Je ne me targuerai pas de pouvoir expliquer tout ce que Star Wars a changé tant cinématographiquement que sociologiquement, mais quelques rappels sont toujours bon à signifier.


Aujourd’hui tout le monde connait Star Wars ! Ses Personnages, sa musique, ses punchlines, son univers… Et ce constat inclut aussi les gens qui n’ont jamais vu Star Wars. Il apparait dans l’inconscient collectif comme une grosse machine commerciale bien rodée, aux codes cinématographiques connus, usités voire parodiée. Pourtant Star Wars en 1977 c’était un film indépendant, ou des mecs filmaient une série B de SF cheap avec des maquettes en cartons dans un hangar.


Ce petit film, sur lequel les studios ne misaient pas une cacahuète va pourtant cartonner au box-office et changer l’industrie du cinéma comme peu l’ont fait. Tout d’abord La guerre des étoiles fit prendre conscience aux studios de l’existence d’une population sous-représentée médiatiquement. Une contre-culture qui sortie définitivement du placard et dont Star Wars était devenu le porte étendard.
Le film redéfinissait le sens du mot divertissement au cinéma. Lucas mais aussi quelques autres comme Spielberg étaient les initiateurs de la fin du nouvel Hollywood puisant leurs influences dans les serials des années 50.


Mais penser Star Wars seulement comme une série B de S.F efficace à succès serait malhonnête ! Et même si les spectateurs furent éblouis par les effets spéciaux brillants pour l’époque et emportés par sa mécanique rythmique, c’est aussi grâce à son scénario, à sa référence mythologique et au sérieux avec lequel il dépeignait son univers que le film a pu remporter l’adhésion du public. Si les références visuelles sont nombreuses (western, films de samouraï etc..), c’est sur les études du monomythe de Campbell et sur la structure de la forteresse caché de Kurosawa que Lucas construisit son récit.


1er trébuchement


les fans de Star Wars étant souvent perçu de l’extérieur comme une masse uniforme vouant un culte sacré à l’œuvre tout entière de George Lucas, la longévité de l’œuvre a créée de nombreuses guerres intestines au sein des fans de la saga.
La première étant celle du retour du Jedi, ou certains fans virent dans ce 3eme film, une infantilisation mercantile ainsi qu’un abandon partiel de la grille campbellienne qui avait structuré les deux épisodes précédent.
Les figures mythologique qu’avait créé Lucas avec les deux premiers épisodes, succombèrent à une déstructuration sur l’autel du divertissement, Lucas détruisant lui-même ce qu’il venait de construire. Et pourtant à l’époque, le scénariste Lawrence kasdan voyait déjà dans le retour du Jedi une fin douce-amère, ou Luke repartait sur sa planète d’origine, prenant la place d’Obi Wan. Un Han solo se sacrifiant pour la cause rebelle, et une princesse Leïa reprenant ses fonctions au sénat, meurtris par la mort de son amant.


Si les théories concernant ce virage (ou sabotage c’est comme on veut) scénaristique sont nombreuses, le retour du Jedi enterre déjà pour certain le fantasme d’une œuvre mythologique moderne parfaite. Cette scission au sein des fans se faisant plus large avec l’arrivée des éditions spéciales (le second trébuchement) mais ça, c’est un autre sujet.


Gadin en public


Lucas ayant maintenu artificiellement en vie son œuvre avec les éditions spéciales et l’empire qu’est LucasArt, il n’en restait pas moins le seul maître à bord. Si certain semble croire que son emprise sur la saga Star Wars était déjà la cause du nivellement par le bas de la trilogie originale, leurs suppositions furent confirmées en découvrant sur les écrans la prélogie !


Bouillie numérique qui, quand elle n’est pas tournée sur fond vert, se contente de faire du plan d’ensemble, champs/contre champs tel un épisode des feux de l’amour. Les enjeux dramatiques et les choix cornéliens des héros disparaissent de l’univers et laissent place à des pantins désarticulés essayant de donner un minimum de crédit à des dialogues insipides et cul cul la praline. Si même les fans ayant kiffé les films étant gamins s’accordent à dire aujourd’hui que la prélogie est un blockbuster neuneu torché par un tacheron, c’est dire le fossé qui se creuse entre les fans hardcore et ceux qui ont définitivement perdu (un nouvel) espoir. Ce que les défenseurs de Lucas appelaient des erreurs de parcours devenaient ici un systématisme. La faute ne pouvant plus lui être défaussée, étant le seul maitre à bord, tout puissant, et jamais contraint par des logiques de studio, Star Wars restait indépendant et façonné par la seule vision de son auteur.


Cette nouvelle Saga n’ayant rien apporté en grammaire visuelle, elle restera un marqueur fort dans l’histoire du cinéma tellement elle fut une déception et un dévoilement de sa machinerie commerciale écrasante. Mais pas seulement…


A l’inverse de l’épisode IV qui compensa son manque de moyen par une inventivité folle et une mise en scène sobre et intelligente, la prélogie de Lucas exhibe son budget dans chaque cadre. Non contente d’avoir le premier film à tourner en caméra numérique (l’attaque des clones), la prélogie met en place des procédés de mise en scène et de composition numériques révolutionnaires. Et si ces évolutions sont plus à mettre à profit des techniciens qu’à Lucas qui ne sait définitivement pas quoi faire de ses gros joujoux, filmant en plan fixe sur fond vert, les expérimentations de caméras de Peter Jackson sur le seigneur des anneaux n’auraient probablement pas étés ce qu’elles sont sans la technologie développée pour ces films.


Remise en selle ?


Et voilà que la firme aux grandes oreilles s’en mêle, s’empare du produit, le découpe en petits morceaux, en prélève la moindre anecdote pour la revendre sous forme de spin-off comme elle le fait depuis quelques années avec l’univers de Marvel. Mettant en route la nouvelle trilogie avec l’épisode 7 balayant au passage l’univers étendu en construction depuis 30 ans. L’œuvre qui était le symbole du film indépendant détrônant les studios d’Hollywood appartient désormais à des exécutifs et des costards cravates bien décidés à rentabiliser l’investissement qu’ils viennent de faire. Et même si l’industrie a su nous combler avec des œuvres réfléchies et divertissantes tournées par des cinéastes passionnés et investis, l’espoir que Star Wars échappe au cahier des charges qui façonne tous les blockbusters actuels semblait bien maigre.


Proposant le projet à Brad Bird qui refusa pour se consacrer à Tomorrowland, Disney refourgua la patate chaude à J.J.Abrams. Loin d’être un cinéaste, Abrams est un faiseur d’image, académique et efficace. Sa passion pour l’univers de Lucas semblait rassurer les fans autant qu’il inquiétait les cinéphiles. En effet si on peut se réjouir de la fidélité (parfois jusqu’à l’outrance) dont fait preuve Abrams, sa vision de réalisateur ne dépasse jamais les termes du contrat qui lui sont imposés. Connu voire apprécié pour sa capacité à faire cohabiter le cahier des charges et le divertissement de manière efficace, Abrams fait ce qu’il a toujours fait. Casser l’œuf, jeter le blanc et le jaune et ne garder que la coquille pour y tatouer un code barre dessus. Apparemment le subterfuge marche encore.


Il faut dire que le bougre n’est pas un manchot et la corde nostalgique vibre à la vue D’un TB-TT gigantesque enfoui dans le sable, ou lors d’une course poursuite avec le faucon millénium. Une scène que l’on avait déjà vu dans le reboot de Star Trek (aussi de J.J.Abrams) l’USS Enterprise étant remplacé numériquement par le vaisseau d’Han Solo. Une méthode de réalisation qu’Abrams peut plaquer sur tous les univers. De là à dire que Star Wars y perd en singularité, il n’y a qu’un pas.
Le film s’inscrit donc dans le giron de ce que certains appellent déjà le cinéma "doudou" de la même manière que l’ignoble Jurassic Wold de Colin Trevorrow déjà crédité comme réalisateur de l’épisode IX. Un cinéma qui oublie toutes tentatives cohérentes d’écriture au profit de la capitalisation de références mal digérées.


Episode 7 : La revanche du Jedi !


Il est intéressant de voir comment a été pensé le réveil de la force dans son scénario ! Mélange étrange entre ce qu’aurait du être le retour du Jedi comme l’avais pensé Kasdan avant que Lucas ne reprenne la main ainsi que des éléments scénaristiques du septième épisode comme l’avais pensé Lucas à l’époque.
Cette approche du scénario est tellement assumée en dépit du bon sens que je serai tenté d’y voir ici une revanche de Kasdan sur Lucas.


N’ayant pu terminer la saga comme il l'imaginait à l’époque, le voilà en train d’égrainer dans cet épisode 7 les éléments de son script original parfois faisant fi du 6eme épisode. Le happy end disparaît, laissant place à un empire encore plus puissant !?


Han Solo se sacrifie (whaou ! quelle surprise !)


et Luke est devenu un ermite (qui mange beaucoup !).


Et pour ce qui est de la jeune Rey et de Finn, certains se paluchant en y voyant une vision moderne de la guerre des étoiles, occultant complétement la princesse LeÏa et Lando Calrissian présent dans la saga original, ils sont tous deux des réadaptations des personnages pensés à l’époque pour l’épisode 7. On y suivait les aventures d’une jeune femme indépendante et orpheline ayant une affinité avec la force et qui se révélait être la sœur jumelle de Luke (C’était avant que Lucas n’attribue cette fonction à Leïa) elle aurait combattu elle aussi les siths en compagnie d’un pilote (que Lucas imaginait déjà noir à l’époque).


En cela L’épisode 7 devenait impossible à monter et ce dès 1983, le retour du Jedi ayant tiré un trait définitif sur sa potentielle existence.


A l’ombre des géants, allume une lanterne !


L’écriture de l’épisode 7 a dû être un calvaire. Cadenassé par la vénération de l’œuvre originale, la colère des fans, les envies personnelles et les impératifs de Studio, la tache laissée à Kasdan et Abrams dû être un casse-tête monumental. Si pour ma part le défi est raté dans sa majeure partie. Deux idées pour moi sont à sauver de ce naufrage.
Tout d’abord l’humanisation d’un stormtrooper, avec la seule idée réellement visuelle du film (à savoir le point fait sur ce soldat et sa caractérisation par le sang resté sur son casque). Ensuite le personnage de Kilo Ren. J.J.Abrams prend ici le contrepied, sachant pertinemment qu’il ne pourra surpasser, voire égaler le charismatique Darth Vador, il décide de faire de son méchant un gamin de 6 ans colérique avec un sabre laser. Idée maline quand on sait que Georges Lucas lui-même s’était cassé les dents sur le sujet, Le charisme étant relégué au nombre de sabres laser qu’un personnage puisse porter (la palme revient au général Grievous, qui en plus fait l’hélicoptère avec! ).


Pousse encore ! Ça va rentrer !


Si la dimension « Larger and Bigger » du film d’Abrams poussée à son paroxysme au point d’en devenir un blague involontaire (l’Etoile de la mort ?!), La structure copié/collé sur l’épisode IV n’est en soi pas un défaut. Encore faut-il savoir recopier correctement !


L’épisode IV et V suivant à la lettre le schéma Campbelien du parcours du héros, il serait trop facile de dire que Le réveil de la force se contente de reprendre la structure narrative du premier épisode sans prendre en compte la dimension mythologique qui nourrissait son récit.
Tout d’abord car Kasdan a participé à l’époque au scénario de la trilogie originale et est donc conscient des fondations qui l’ont structurée. Et ensuite car J.J.Abrams est loin d’être un imbécile et connait l’univers de Star Wars comme sa poche. C’est d’autant plus rageant de savoir l’équipe consciente des étapes nécessaires mais de les voir incapables de les mettre en place de façon cohérente et cinématographique.


Là où les personnages, dans la trilogie originale, devenaient des figures mythologiques de par leurs actions et le contexte qui les entourait, ici c’est bien leurs présumés statuts mythologiques qui fait avancer le récit et qui détermine leurs parcours.

Des étapes jalonnées le long du récit mais sans jamais de réels liens les unissant. Han solo se verra ainsi attribuer la figure du mentor (obi Wan) censé créer un lien tangible avec la jeune Rey (Luke). Idée pas mauvaise en soi, mais la justification de la relation entre Rey et Solo n’existe qu’à l’aune des archétypes dans lesquels les scénaristes essaient de faire maladroitement rentrer.
Ce lien supposé fort se verra réduit au fait que Rey est « super balèze » pour réparer des trucs dans le faucon millenium et à trois punchlines sur des tournevis et des écrous de l’espace.


Des artifices peu crédibles d’autant que le personnage de Solo n’a pas évolué d’une cacahuète depuis le dernier opus en date. Comme si ces personnages étaient restés figés dans le temps. Leur image impossible à égratigner, soit par peur des fans, soit par contrainte de production, soit par manque de créativité…probablement un peu des trois.
Le plus gros syndrome de cette muséification est Chewbacca. Le personnage ne servant à rien si ce n’est à servir de porte-flingue à Solo. Comme un ami de longue date qu’on invite encore aux soirées par nostalgie mais qui fait vraiment tache dans le décor…malaise.


Papy Han solo devient donc la figure du sage tout en restant le flibustier désabusé de la première trilogie ! Cette mécanique absurde est présente tout le long du « réveil de la force » faisant de lui l’opus qui ressemble le moins aux Star Wars originaux tout en les citant et les singeant constamment.


Le roi est mort…


Œuvre schizophrénique donc, qui combine les stigmates laissé par Lucas, l’esprit revanchard de Kasdan et l’hommage outrancier d’Abrams.
Star Wars 7 marquera l’histoire du cinéma dans le sens où il ne marque rien. Sa présence sur les écrans uniquement dû à sa licence prestigieuse laisse présager le long déclin d’une franchise qui a marqué à jamais de nombreux cinéphiles (et de nombreuses étagères à jouets)
Et si certains fans voient dans le réveil de la force un renouveau de la saga, Star Wars m’apparait aujourd’hui comme une franchise mise en lambeau par des studios qui exploiterons le filon jusqu’à saturation. La saga mourant dans l’indifférence générale lors de sa phase 4 avec son spin-off sur Jar Jar Binks. Pessimiste dites-vous ?

gordongraf
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le 15 févr. 2016

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Simon Phoenix

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