Si je voulais gentiment provoquer, je dirais qu'en cela qu'il est un mauvais Star Wars, le bébé de Johnson a plus de chances d'être un bon film. A bien des égards — et alors que je viens d'éteindre la télé qui rediffuse en ce moment L'Attaque des clones, dont je conservais un regard d'enfant tout à fait positif dessus, et qui se révèle, avec le recul, être affligeant de connerie et de mauvais goût — ce huitième opus, en s'affranchissant de la patte de Lucas, de sa fausse naïveté pensée pour le marketing et de ses lourdeurs, permet de partir sur de meilleures bases cinématographiques.


Et en cela qu'il rompt avec les poncifs de l'univers, Les Derniers Jedi apportent un certain vent de fraicheur qui mérite d'être considéré, même s'il est bourré d'imperfections. Là où le VII se reposait un peu facilement sur sa capacité à solliciter la corde nostalgique du spectateur, le VIII incarne une sorte de dégagisme jouissif, bienvenu, qui vient anéantir toute la paresse du précédent et titiller l'auto-satisfaction d'une communauté obtuse de fans aux théories fumeuses.
"Let the past die" devient le fil directeur du film, et inscrit parfaitement l'oeuvre dans son temps. Il me semble qu'un journal qualifiait le film de "queer", c'est sans doute surinterprété mais l'idée reste évocatrice : on retrouve une sorte de post-modernisme qui vient déconstruire toutes les structures traditionnelles d'un univers qui nourrit les esprits depuis maintenant 40 ans : un personnage culte secondaire de la trilogie originale meurt en arrière-plan dans l'indifférence générale, l'icône sage de la saga vient brûler la bible de la religion des Jedi, les vieux puissants meurent terrassés par une génération nouvelle. C'est osé, c'est provocateur, c'est assez audacieux, et je soutiens totalement le principe de Johnson. Oser dépoussiérer de la sorte un univers si écrasant et si ronflant, tenu par une communauté de garde-fous hargneuse, c'est une ambition d'une bravoure qu'il convient de saluer.


Mais un film ne peut se contenter de détruire, il faut aussi qu'il propose, et là le bât blesse. A l'instar d'un Jurassic World, mais en plus efficace ici tout de même, le film peine à devenir autre chose qu'une oeuvre de petit malin, moquant de manière narquoise des poncifs hollywoodiens, mais en ne proposant rien de plus fort, et en ne dépassant pas son criticisme théorique. A force de ne rien prendre au sérieux, Star Wars VIII finit par annuler toute la tension et toute la nervosité qu'on est en droit d'attendre devant un tel survival. Si la décennie 2000 à Hollywood pouvait être accusée de trop se prendre au sérieux, avec de redondants nihilisme et pessimisme adolescents, on peut reprocher à la décennie 2010 de se complaire un peu trop dans l'humour prépubère décomplexé, avec cette sorte de cool-attitude complètement vaine et mal maitrisée qui vient annihiler tout climax et toute perception forte des enjeux. Ainsi, toute situation dramatique se voit vampirisée par une remarque sarcastique d'une banalité déplorable qui agace davantage qu'elle ne réjouit.


En outre, en mettant un tel coup de pied dans les fondations, l'intérêt inhérent à cet opus particulier enterre toute l'envergure potentielle de cette nouvelle trilogie. Si ce rejet détaché des bases de J.J Abrams peut s'apprécier en soi, il est difficile d'apprécier un quelconque avancement des protagonistes qui étaient pourtant très prometteurs. La destruction de l'édifice était divertissante, mais voilà que nous en arrivons à la fin de la trilogie et l'intrigue a été avortée, la progression des personnages a été coupée dans son élan (et là, c'est dommage, parce que Rey était vraiment un très beau personnage, mais sa destinée n'aura que peu de souffle, à moins que l'épisode IX soit une fulgurante épopée). Le passé a été tué, mais la jeune génération n'aura fait que du sur place.


Bon cela dit, je m'en fous un peu, je ne vibre plus devant l'univers Star Wars, et il reste, en plus du dégagisme, plusieurs choses réjouissantes dans ce nouveau Star Wars : une séquence quasi-mutique assez frappante, un propos simple sur l'échec qui est plutôt bien tissé, j'aime bien Oscar Isaac et Daisy Ridley (même si elle n'a pas le traitement qu'elle mérité), Adam Driver ne cesse d'intriguer, et le tout s'observe d'un bon oeil, même si le côté petit malin et vainement décontracté m'aura quand même rendu dans l'ensemble plutôt désintéressé vis-à-vis de la progression (absente) de l'intrigue et des enjeux du survival.


Mais ça reste un drôle d'objet que ce film : ce qui fait sa force génère une certaine faiblesse, ou vice versa. C'est une proposition audacieuse et intéressante, mais qui, finalement, ne propose pas assez.

Globalement, c'est creux, mais d'une certaine manière, ça en valait la peine, quitte à réduire à néant l'ampleur d'une trilogie dont il s'agit de l'opus central. En somme, ça ne va nulle part, ce qui est un comble pour une une saga qui a toujours eu un accent d'épopée, mais peut-être que ce chaos, ce "à quoi bon ?" qui mène rien, se révélera salvateur, en tant qu'il est conscience d'un malaise cinématographique, et d'un malaise beaucoup plus grand.

MrOrange
5
Écrit par

Créée

le 3 janv. 2018

Critique lue 267 fois

2 j'aime

MrOrange

Écrit par

Critique lue 267 fois

2

D'autres avis sur Star Wars - Les Derniers Jedi

Star Wars - Les Derniers Jedi
Cyprien_Caddeo
4

Comment faire n'importe quoi avec Star Wars, par Disney.

Voilà, pour la première fois de ma vie, je me suis fait salement chier devant un Star Wars, j'ai levé les yeux au ciel, grommelé pendant toute la séance, et détesté un film de la saga. Je suis à deux...

le 14 déc. 2017

307 j'aime

70

Star Wars - Les Derniers Jedi
Vnr-Herzog
7

Naguère des étoiles

Cela fait quarante ans que La guerre des étoiles est sorti, un film qui a tout changé et qui a marqué et accompagné des générations de spectateurs. Même si Les dents de la mer avait déjà bien ouvert...

le 21 déc. 2017

294 j'aime

42

Star Wars - Les Derniers Jedi
Gand-Alf
8

Les vieilles choses doivent mourir.

S'attaquer à une institution comme celle que représente Star Wars, c'est comme inviter à danser la plus jolie des CM2 alors que tu n'es qu'en CE1. Qu'elles que soient ta bonne volonté, ta stratégie...

le 18 déc. 2017

205 j'aime

54

Du même critique

Star Wars - Le Réveil de la Force
MrOrange
6

Opéra Nostalgie

La critique sera truffée de spoilers, là ça me semble difficile d'atteindre l'essence du film en faisant abstraction de cela. On ne va pas se mentir, ce septième épisode est un quasi-remake du Nouvel...

le 16 déc. 2015

101 j'aime

9

Rashōmon
MrOrange
5

Rage à moi

Au début du film, le passant dit quelque chose du genre : "Tais-toi, je préfère écouter la pluie plutôt d'écouter tes propos insipides". En fait, je suis d'accord avec lui. Parce que tous les...

le 24 juil. 2014

50 j'aime

19

Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ?
MrOrange
3

Critique de Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ? par MrOrange

J'en suis le premier étonné, ce n'est pas la grosse bouse attendue, ce n'est même pas foncièrement mauvais. Alors, en effet, c'est très pauvre en terme de mise en scène (même si ce n'est pas atroce...

le 23 avr. 2014

47 j'aime

3