Jedi M et je le sème sur ma planète (de sel)

Petite pensée pour Rian Johnson, qui doit rêver de s’exiler sur une île à l’image de Luke dans son film.
Si les critiques et les interviews font partie du jeu, m’est avis que devoir se défendre quand on a touché au bébé de milliers de fans n’est pas une mince affaire. Et des explications, il peut en donner sur un tas de sujets.


Pourtant il le savait Rian que le cadeau était empoisonné.
Il a vécu la sortie de la prélogie et les critiques qui l’ont accompagnées, il a vu ensuite JJ Abrams se débattre avec des vestiges auxquels on doit redonner vie sans trahir tout en essayant de contenter un maximum de monde.
Il a eu son avis sur la question, et sans doute il a eu une vision claire de ce qu’il voulait amener à la saga et de ce qu’il voulait écarter.
Sa tâche était de digérer tout ce qui avait précédé en permettant à la suite de se développer.
On appelle ça passer les plats.
L’exercice consistait donc à casser le moins de choses, sans emprunter de chemin périlleux, ou alors au contraire de tenter le tout pour le tout en se disant qu’il était temps de changer la vaisselle, puisque de toute façon elle commençait à s ébrécher, à l’image d’un casting original qui voit disparaître sa figure féminine.
Visiblement c’est la seconde option qui a été préférée: on lui a laissé les clés de la cuisine avec le droit de tout casser à condition de garder une ou deux poutres porteuses.


En prime il avait le choix pour dérouler son histoire: chaque spectateur de l’épisode 7 avait un scénario à lui proposer: tous avaient glosé sur les origines de Rey, sur le retour de Luke, sur l’affrontement avec Snoke, sur le départ forcé de Leia.


Tous l’attendaient au tournant, certains avec autant d’expectative que quand on veut monter dans le bus un jour de grêve, d’autres en simples observateurs, ex-passagers venus regarder jusqu’où on peut se battre pour un véhicule qui ne les transporte plus réellement.


Et là Rian arrive tranquillement et sans prévenir il change d’itinéraire.


On peut lui reconnaître le mérite de prendre la plupart des théories à revers, mais dans un premier temps ça déstabilise.
Il faut un peu de recul pour digérer le film et assimiler la déconstruction à laquelle on vient d’assister. C’est que le trajet durait quand même 2h30, et on ne peut pas dire qu’on a été bluffé par tous les paysages proposés (même si là aussi il y a de belles pièces de temps en temps).


Il nous faut accepter que notre star wars n’existe que dans notre imagination, que chacun y a apporté sa part d’enfance, ses souvenirs, ses émotions, ses attentes, et qu’on ne touche pas au sacré sans blesser quelques fidèles au passage.


Il nous faut accepter une nouvelle organisation, un nouvel équilibre, se retrouver face à un Luke faillible, déçu, désabusé, sans motivation; apprendre à abandonner nos légendes; laisser tomber nos jouets comme on abandonne un sabre laser ou un casque.
Ca pour le coup c’est un discours qu’on ne pensait pas trouver dans un film hyper marqueté même si on sait bien que Mickey veut se défaire d’un passé un peu trop encombrant.
C’est qu’il s’en vend beaucoup des sabres lasers à Disney, alors nous dire que même dans le film ce ne sont que des jouets est ce que ce n’est pas désacraliser l’objet?
Ou alors c’est pour les remplacer par d’autres armes et pouvoir vendre à la fois les anciennes et les nouvelles? (on imagine ici le rire démoniaque de la souris qui se frotte ses mains à trop peu de doigts).


Au delà du discours et du traitement de nos idoles, le film accumule les défauts notamment par une narration peu efficace: tout est mal amené, et chaque intrigue se veut dynamique sans pouvoir nous intéresser réellement.
La médaille d’or de l’inutilité est attribuée haut la main à Finn et sa copine, dont l’aventure sert à prendre du temps et à créer une porte de sortie à la relation Finn/Rey. (On imagine que ça va permettre de travailler l’isolement de Rey par la suite, mais à vrai dire on peut imaginer tout ce qu’on veut maintenant qu’on sait que chaque film peut défaire le précédent).
Tout ça pour ça.
J’espère sincèrement que le prochain épisode va venir valider mon impression que Rey va mal digérer de n’être plus le seul intérêt de Finn, et qu’elle en éprouve juste assez de ressentiment pour pouvoir ruminer son malaise et se rapprocher du côté obscur.
On ne compte pas les moments d'incompréhension: devant l’utilisation de la force: elle est bien pratique la force pour faire avancer l’histoire mais on l’oublie quand ça pourrait aider, devant des stratégies sorties de nulle part qui auraient bien été utiles plus tôt, des sacrifices évitables...


Le pire c’est qu’on pourrait laisser passer la plupart des défauts si ce qu’on nous proposait en face était suffisamment convainquant.


Mais l’intérêt du film ne saute pas aux yeux, d’ailleurs à part quelques images bien travaillées et quelques passages mémorables, on est globalement peu emballé par l’ensemble (là où l’épisode 7 proposait de vraies belles compositions).


Et puis après avoir laissé reposer la pâte les arômes ressortent et on retient le meilleur: une relation Kylo/Rey qui joue sur un fil entre les deux côtés de la force et dont on doute toujours de l’issue, des interactions qui montrent l'ambiguïté du petit solo et nous le rendent de plus en plus sympathique alors que Rey semble lui fermer la porte au nez pendant que le méchant a l’air de chercher le contact et semble enclin à tendre la main (après avoir essayé de tuer tout le monde, mais on va pas chipoter sur les détails non plus).
La fin est visuellement convaincante: la planète de sel est sublime et donne des images iconiques. (Disney oblige les plans sont déjà intégrés à l’attraction star tour dans les parcs, et ma fois ils valent le détour), un peu avant le combat chez Snoke était aussi inattendu que tendu (même si j’ai un peu de mal avec les chorégraphies des gardes rouges trop mécaniques).
Et puis surtout on repart avec l’espoir d’avancer vers de nouvelles aventures qui ne seront peut être pas tout à fait notre guerre des étoiles mais qui pourront se développer, avec ou sans lien avec les skywalker, avec ou sans nous, mais pourvu que ça fasse rêver des gamins encore et toujours. (même si on sait tous que les films s’arrêteront quand les produits dérivés ne se vendront plus).


Alors au final ce film divise beaucoup de monde mais il me divise aussi, je lutte entre les deux côtés de la force: celui qui voudrait garder sa vieille trilogie avec ses héros emblématique et qui a mal au Luke devant ce vieux jedi dont la sortie manque de classe (enfin juste avant j’ai tressailli en le voyant émerger de la grotte), et puis de l’autre la volonté de découvrir de nouvelles choses, de voir évoluer les nouveaux héros.
En tout cas je suis attachée à l’ambiguïté entre l’obscur Kylo et la lumineuse Rey et rien que pour eux j’aimerais voir le dernier épisode de cette trilogie.


La conclusion c’est qu’il en va de star wars comme des séries: on peut choisir de s’arrêter en cours de route et rester sur la bonne impression de la première saison, et on peut très bien se dire que le reste peut attendre.
Ceux qui choisissent de continuer acceptent aussi de voir le produit évoluer, ils peuvent y trouver un nouveau plaisir, même si rien ne remplacera les émotions de la découverte initiale.
Ce que les fans craignaient est arrivé, star wars a muté, et d’ici quelques décennies il se sera totalement affranchi de la vraie trilogie.
Et puis il y aura toujours les rebelles qui feront vivre la flamme, qui rappelleront que la vraie force se trouve quelque part entre les années 70 et 80.

iori
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le 24 janv. 2018

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