Volontiers solennelle et donneuse de leçons, la science-fiction au cinéma est un genre qui se prend souvent très au sérieux. Et pour cause : qu'il soit néo-noir comme dans Blade Runner et sa suite Blade Runner 2049, post-apocalyptique comme dans La Route et Le Fils de l'Homme, dystopien comme dans 1984 et THX-1138, post-nucléaire comme dans Stalker ou dominé ici par les machines (Terminator, Matrix) et là par les mégacorporations (Alien), le monde qu'il nous présente ne prête généralement pas à la rigolade ; de fait, le seul moyen trouvé pour dérider le spectateur consiste en la parodie pure et simple des classiques (Spaceballs, Galaxy Quest, L'Ascension de Skywalker... oh pardon, je plaisante quant à ce dernier... mais à peine).


Dès lors, s'étonnera-t-on que le meilleur parmi les rares exemples d'amalgame entre de la bonne sci-fi classique (métaphore terrestre sur fond de guerre interstellaire) et un humour trash et décapant nous vienne du spécialiste du poil à gratter de l'Hollywood des années 80-90, le "Hollandais Violent" en personne, meneer Paul Verhoeven. L'intéressé s'était déjà essayé à la satire avec son génial Robocop dix ans plus tôt, même si j'ai davantage tendance à considérer ce dernier comme un film d'action/sécuritaire plutôt que comme de la science-fiction, bien qu'il ait lieu dans le futur et présente plusieurs éléments typiques des sous-genres susmentionnés.


Avec son Starship Troopers de 1997, Verhoeven s'attaque directement à un classique pour le moins controversé de la littérature S-F des années 50 et à un de ses géants : Robert Heinlein et son roman du même nom (étrangement traduit en "Étoiles, garde-à-vous!" en français!). Je ne l'ai jamais lu mais de rapides recherches m'ont appris que Heinlein fut très décrié à sa sortie, faisant notamment l'objet d'accusation d'impérialisme, de militarisme, de chauvinisme et autres -ismes tous moins flatteurs les uns que les autres. Il est donc ironique que presque quarante ans plus tard, la version filmée de Verhoeven, censée prendre à bras-le-corps les aspects les plus dérangeants du livre, ait reçu un accueil similaire de la part de la presse américaine ! Les années passent, la doxa reste...


Starship Troopers est pourtant bien plus que ce que suggère sa prémisse au premier coup d’œil : nous sommes au 23ème siècle, la Terre est en paix mais régie d'une main de fer dans un gant de velours par la Fédération, sorte de version maléfique et proto-fasciste de celle de Star Trek (même si, paradoxalement, leurs uniformes quasi-feldgrau ressemblent beaucoup à ceux de Star Trek : Into Darkness !) La société y est hyper-militarisée, à tel point que les soldats y ont plus de droits civiques que les civils, et sa jeunesse fortement encouragée à rejoindre les troupes parties à la conquête - musclée - de l'espace.


"Les jeunes gens du Monde entier se rassemblent pour se battre pour l'avenir !" annonce ainsi une campagne de recrutement en ouverture du film, allant jusqu'à montrer un petit enfant claironnant fièrement : "Je fais mon devoir !", dans un style que n'aurait pas renié Leni Riefenstahl. Apparemment, il aura échappé aux critiques de 1997 que la photographie est exactement la même entre le spot publicitaire et la trame narrative elle-même. Pas de décalage entre une télévision édulcorée et technocrate d'un côté et une réalité poisseuse et miséreuse de l'autre comme dans Robocop : la propagande a fini par rattraper la réalité.


De fait, tous les principaux protagonistes de Starship Troopers ressemblent à des affiches "Engagez-vous, rengagez-vous" ambulantes : entre Johnny Rico (Casper Van Dien), personnage principal et fils de notables qui souhaiteraient le voir faire carrière dans le civil plutôt que de s'enrôler, et ses camarades de classe, l'arriviste Carmen Ibanez (Denise Richards), le sournois Carl Jenkins (Neil Patrick Harris, pré-HIMYM) et Dizzy Flores (Dina Meyer) la friendzonée, c'est à qui aura le sourire le plus bright et le moins de cervelle...


Le script de Starship Troopers, en revanche, a de la suite dans les idées, qui expose la cible de son réquisitoire dans une scène de classe d'anthologie : "La force brute a résolu plus de conflits que tout autre facteur dans l'Histoire. Quiconque pense le contraire se berce d'illusions." déclare ainsi leur professeur, le vétéran manchot Jean Rasczak, tout en faisant l'apologie d'Hiroshima et en posant son moignon sur l'épaule de Carmen, visiblement émoustillée.


Cinq minutes de film à peine, et déjà je me demande comment la critique de 1997 a-t-elle pu prendre tout cela au pied de la lettre : l'humour noir, acide et sans compromis de Verhoeven est omniprésent, à chaque ligne de dialogue va-t'en-guerre débité avec conviction et une totale absence de tempo par les Casper Van Dien et autres Denise Richards aux yeux de merlans frits. La légende veut que Verhoeven ait volontairement engagé de mauvais acteurs, complètement inconscients du second degré de ce qu'on leur faisait jouer, mais choisis justement pour leur naïveté et leurs physiques de quarterbacks et de pom-pom girls. Au vu du reste de leur filmographie, on est tentés d'y croire...


Le début de Starship Troopers est donc complètement déroutant, en ce que l'on suit les amourettes collégiales de cette bande de sales gosses de riches complètement écervelés, au point de souhaiter que les missiles des extra-terrestres leur tombe sur leur jolie gueule à eux. C'est exactement ce que recherche Verhoeven, passé maître dans l'art de jouer avec l'empathie et l'allégeance de son public. Car lorsque la réalité de la guerre finit par rattraper cette joyeuse bande de crétins... eh bien ça fait mal. Soldat abattu par accident durant l'entraînement, sergent coupé en deux dès le premier affrontement : c'est septembre '14 sans les pantalons rouges mais avec des casques de hockey (qui inspireront les fantassins cadiens de Warhammer 40 000). On a de la peine pour Rico et compagnie tandis qu'ils réalisent l'horreur pour laquelle ils ont signé. We're not in Kansas anymore...


Les sympathies du spectateur basculent donc du tout au tout, tandis que nous voyons ces gamins se faire déchiqueter par un adversaire bestial et sans pitié, aux griffes tranchantes comme des sécateurs. Alors qu'il était fortement suggéré que les Humains avaient initié cette "guerre éternelle" (titre d'un roman de Joe Haldeman écrit en réaction à celui de Heinlein) par soif de nouvelles colonies, nous nous prenons soudain au jeu des désirs d'éradication des Arachnides ou "cafards" comme ils sont surnommés. Seul le malin recours à des slogans historiques ("Un bon Indien/cafard est un Indien/cafard mort" selon la formule du général américain Sheridan et le "Bande de chiens, voulez-vous vivre pour toujours?" de son homologue prussien Frédéric le Grand) vient nous rappeler la bêtise crasse et carrément génocidaire de "notre bonne vieille Terre".


Ce n'est donc pas un hasard si l'imagerie de Starship Troopers évoque tour-à-tour le IIIème Reich (les uniformes, les expériences scientifiques, les critères physiques) et les Guerres indiennes (fortin à la garnison massacrée, embuscade dans les canyons), sans jamais perdre de vue le principal vecteur du réquisitoire : l'américanisme à outrance, au travers de ses valeurs les plus conservatrices et les plus militaristes. Il est intéressant de noter que parmi les critiques négatives de la presse US, pas une ne s'offusque de voir Buenos Aires peuplée uniquement de beaux blonds anglophones ! Vous n'en trouverez également aucune pour commenter le "Rasczak ? C'est quoi ça comme nom ?" du père Rico...


Mais malgré son portrait à charge des dérives belliqueuses d'une partie de la société américaine, Starship Troopers, comme je le disais en guise d'entrée en matière, n'oublie jamais d'être incroyablement fun et divertissant à regarder. En effet, Paul Verhoeven n'est pas Michael Moore, il sait rendre son traitement ludique tout en conservant son message corrosif. En plus de ses nombreux traits d'humour (pour beaucoup dus à l'inénarrable Jake Busey, au faciès franchement aussi monstrueux que les bestioles qu'il dégomme à la chaîne), ST brille également comme film d'action pur et dur ; ses batailles spatiales souffrent certes d'effets spéciaux estampillées années 90, de même que les affrontements au sol contre les hordes d'Arachnides en images de synthèse un brin vieillottes, mais ça n'en reste pas moins visuellement impressionnant et trépidant !


Le film est d'ailleurs filmé de manière fort peu prétentieuse, une constante dans la carrière de Verhoeven, dont la beauté de la photographie n'a jamais été la préoccupation première - il n'est pas Terrence Malick non plus. Il n'en reste pas moins que son aspect vaguement "film télé à gros budget" rend Starship Troopers extrêmement plaisant à regarder. Pour augmenter l'aspect épique des batailles entre Humains et Arachnides, on pourra d'ailleurs compter, une nouvelle fois, sur l'immense Basil Poledouris (Robocop, Conan le Barbare, À la poursuite d'Octobre rouge...) pour enflammer nos tympans et, à l'instar de Wagner et de la Pologne selon le bon mot de Woody Allen, nous donner envie d'envahir Klendathu !


J'ai un peu martyrisé son casting digne d'une série B, mais il faut reconnaître que l'on finit par s'attacher à Casper Van Dien, Denise Richards et surtout Dina Meyer, qui joue probablement la plus récupérable du lot. À leurs côtés, on notera la présence de gueules du cinéma et de la télé américaine, comme Dean Norris (Breaking Bad), Michael Ironside (X-Men First Class) et Clancy Brown (Highlander).


On a un jour dit de Starship Troopers qu'il était sorti "cinq ans trop tôt". Il est vrai que l'Amérique alors en paix ne se passionnait guère pour les satires militaro-politico-sociales... en plus des critiques acerbes, son échec au box-office marqua la fin de la carrière hollywoodienne du trublion Verhoeven, et probablement sa plus grande perte. Que l'on considère un peu le succès des Michael Bay et autres Roland Emmerich à la même époque... mais il n'empêche que les années ont été tendres avec Starship Troopers, dont le statut de film culte et injustement déglingué est désormais acquis des deux côtés de l'Atlantique, et ce à très juste titre selon moi. D'ailleurs, son échec aux USA aura fait une heureuse dans l'histoire : l'Europe ! Car après Black Book et Elle, j'ai hâte de voir ce que le Hollandais violent nous réserve avec son Benedetta. Passer du ratissages d'insectes spatiaux aux nonnes du Moyen-Âge, il n'y a que lui pour réussir pareil grand écart !

Szalinowski
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le 27 déc. 2019

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