Je suis ravi de retrouver la Naomi Kawase que j’aimais tant, celle qui m’avait tant émerveillé avec Suzaku puis Shara, enfin l’inverse, puisque j’avais d’abord découvert le second. Deux films puissants, tranchants, qui étaient traversés par le drame et/ou l’absence, et une quête de la résurrection qui s’en remettait en permanence aux éléments, au décor : Un mystérieux tunnel dans l’un, une pluie diluvienne dans l’autre.


 Still the water condense ses plus belles inspirations, c’est un enchantement qui évoque la poésie délicate d’un Miyazaki et la dimension panthéiste d’un Malick, en trouvant un équilibre fragile mais réel, miraculeux. La mort fait souvent parti du processus narratif du cinéma de Naomi Kawase et elle est souvent compensée par la naissance : L’accouchement dans Shara, mais surtout ceux de Genpin, son documentaire sur des femmes souhaitant donner naissance dans les bois, selon une procédure non médicalisée, compensent la mort ou la peur de la mort inhérente dans chacun de ses films. C’est aussi cette peur qui se logeait dans le tunnel de Suzaku.
Dans Still the water, on assiste à une autre naissance, c’est l’éclosion du désir. Dans cet éden dangereux que forme ce village de l’ile d’Amami menacé par les typhons, deux adolescents se cherchent, tombent amoureux l’un de l’autre, se le disent maladroitement et tentent de combattre chacun une douleur intime, respective. Pour elle, il s’agit de la perte imminente de sa maman, très malade. Pour lui, c’est plutôt l’éclatement de la cellule familiale qui mine son rapport à l’amour.
En effet, Kaito vit sur l’ile avec sa mère, tandis que son père est à Tokyo. Dans l’une des plus belles scènes du film, Kaito ira voir son papa, ils dineront ensemble et discuteront sans doute pour la première fois de cette distance, cette séparation que l’adolescent ne comprend pas. En une longue scène, Kawase offre une vraie place à ce père hors-champ, qui a ses raisons, qui répondent par ailleurs étrangement aux dires de la maman chamane de Kyoko, qui disait un peu plus tôt que le plus important n’était pas de s’acharner à vivre mais de se voir vivre à travers ses enfants. Ce papa, ému par la tristesse de son fils, finira par lui dire que le lien qui les unit, qui unit un fils et son père, ne se brisera jamais.
C’est curieux car ces instants, qui sont des sommets de chiale, enfin pour moi, n’agissent pas du tout en climax ou en continuité logique, ce sont plutôt des interstices, des éclats indépendants, des instants que les deux adolescents vivent chacun de leurs côtés. Du côté de Kyoko on retiendra un autre moment d’une grâce inouïe, lorsqu’elle se retrouve sur la terrasse de jardin, sous l’immense banyan, la tête sur les cuisses de sa mère, qui a elle-même la tête sur celles de son mari qui plaisante de cette situation qu’il trouve désavantageuse à son égard. Ça pourrait durer des heures ces séquences-là, c’est absolument magnifique.
Mais c’est une autre séquence qui va tout balayer. Celle de la cérémonie d’adieu organisée pour la mort de la maman de Kyoko, évidemment. Kaito et Kyoko sont par ailleurs cette fois-ci ensemble. C’est le deuxième évènement qu’ils vont affronter véritablement ensemble, après la découverte de l’inconnu noyé dans l’ouverture du film. La scène est très longue. Les regards se croisent de toute part, ceux de Kyoko et sa maman, notamment, dont on comprend qu’elles se disent adieu silencieusement : Une larme, un moment donné, coule sur la joue de la mère et son écho ne tarde pas à faire son apparition sur celle de sa fille. C’est somptueux. Mais c’est aussi parce que la scène est saturée de sons (la nature, les chants, la musique…) et de gestes qu’elle devient insolite et bouleversante ; c’est aussi parce qu’elle s’étire, dure plus qu’on ne l’aurait pensé, qu’elle touche à l’expérience partagée de la mort, quelque part. C’est à chialer des torrents. Et c’est tout le cinéma de Naomi Kawase, à son meilleur, qui est contenu là-dedans.
C’est une merveille. Simplement, quel dommage que cette merveille soit jalonnée, en ouverture et en son centre d’une atroce scène d’égorgement d’une chèvre. Je veux bien que Naomi Kawase couche sur pellicule une pratique existante à Amami, que son rapport à la mort de l’animal revête un autre sens que celui de notre regard d’occidental, d’autant que ça fait partie intégrante du récit (l’observation de la mort, de l’esprit qui quitte l’enveloppe corporelle) mais quel intérêt de montrer la mise à mort et la chèvre agonisante au spectateur ? Le cinéma a cette force qu’il peut aisément contourner ces voies-là. Déjà, filmer cela dans un documentaire (Chez Rouch par exemple) ça me pose problème, mais si c’est uniquement pour nourrir la fiction, franchement je trouve ça abject. C’est con parce que c’est mon seul grief à ce film puissant, d’un enchantement permanent, qui sonne comme l’aboutissement de l’œuvre de la cinéaste japonaise, qui répète ses motifs habituels mais le fait ici avec une grâce absolument prodigieuse.
JanosValuska
8
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le 2 sept. 2019

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JanosValuska

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