Whitney Bulger devient dans les années 1970 le malfrat le plus impitoyable de Boston. Il décide de s’allier au FBI par l’intermédiaire de son ami d’enfance John Connolly pour éliminer la mafia italienne du territoire ainsi devenir maitre de la ville. Il tente par son caractère violent et strictement criminel d’assurer la loyauté de ses lieutenants, quitte à cribler de balle le moindre obstacle sur sa route.


Le cap de la cinquantaine n’est pas facile à passer pour Johnny Depp ! Fraichement célibataire (du moins divorcé), le sex-symbol préféré de Tim Burton peine à renouveler une filmographie reposant principalement sur son look gothique ou sur des productions parfaitement lamba de plus en plus récurrentes. L’échec commercial de Lone Ranger a peut être marqué un tournant dans la carrière d’un acteur qu’on pensait encore être une assurance tout risque au box-office dès qu’il s’agissait de jouer des types bizarres aux maquillages excentriques. Strictly Criminal pousse se dernier point à l’extrême mais donne enfin la possibilité à Depp de montrer ses talents dans un rôle de composition exigeant, loin des sempiternelles chemins battus des pirates et autres vampires androgynes.


Pour jouer le terrible gangster Whitney Bulger, la transformation faciale de Johnny Depp a été radicale : traits changés, dents pourries, yeux bleus, cheveux blonds et calvitie progressive rendent l’acteur méconnaissable. Cette montagne de pastiches manque clairement de naturel mais agit finalement comme un symbole qui assimile Bulger à la mort personnifiée. L’homme est d’ailleurs peint dans la réalité comme étant particulièrement malfaisant, sans pitié et totalement imprévisible. Jamais le film ne cherche à rendre le côté obscure attirant mais il tente tout de même de nous expliquer sa personnalité à travers les événements qui l’ont porté au sommet mais aussi à son inévitable perte.


La quintessence des films des gangsters a été atteinte, malgré lui, par Martin Scorsese au cours des années 1990. Les codes du genre sont désormais bien ancrés dans nos esprits et passer derrière de telles références implique toujours d’être comparé, rarement à l’avantage des nouveautés. Strictly Criminal n’y échappe pas car tout ce qui le compose correspond à du déjà-vu comme l’atteste la scène du steak, celle de la première bande annonce, dont le clin d’œil avec Les Affranchis est aussi gros que dans la pub Pez. Toutefois, en se centrant sur le personnage de Bulger, c’est comme si l’on suivait La Mort en train de semer la terreur dans South Boston, en faisant tomber quiconque s’oppose à lui. Sa présence pèse sur chaque scène jusqu’à devenir glauque dans la dernière partie du film, c’est une véritable bombe à retardement qui n’attend plus qu’à exploser alors que ses rares attaches familiales disparaissent unes à unes. On n’assiste pas aux fastes d’une vie de malfrat.


Le véritable intérêt de Strictly Criminal se situe dans la narration, qui certes n’invente rien, mais reste claire de bout en bout et se déroule avec aisance. Les relations qui unissent les personnages sont intéressantes et montrent à quel point d’avoir vécu sa jeunesse dans la rue crée des liens, un code d’honneur, alors que les deux personnages principaux sont dans des camps opposés. Pareil pour le frère de Bulger, gouverneur de l’État, dont la complicité supposée dans les affaires criminelles laisse planer le doute. Les sentiments dépassent la raison, un chose incompatible qui consument les personnages de manière brillante.


Pour assurer ses arrières, Strictly Criminal envoie du lourd par son casting exceptionnel. Hormis Johnny Depp et Joel Edgerton, moteurs du film, les têtes d’affiche sont nombreuses. Il est vraiment dommage que Benedict Cumberbatch et Kevin Bacon soient clairement sous utilisés, dans des rôles peu développés et donc loin de la carrure de ces monstres de charisme. Jess Plemons devient quant à lui un taulier d’Hollywood alors que sa fausse ressemblance avec Matt Damon et ses origines texanes ne jouaient pas en sa faveur. Enfin, les amateurs de House of Cards reconnaitront l’excellent Corey Stole et les adeptes du sadomasochisme, la truculente Dakota Johnson (50 nuances de Grey). Autant dire que le film prend par les sentiments et mérite au moins le détour pour cette brochette d’acteurs ayant facilement empoché la moitié du budget du film dans leurs cachets (celui de Depp est estimé à 20M$ à la signature du contrat).


Impossible concurrent aux gangters scorsesiens, Strictly Criminel reprend sans se le cacher tous les éléments propres aux chef d’œuvres du genre. C’est en cela que le film restera un « one-shot » que l’on ne regardera qu’une fois, pour passer sans aucun doute un très bon moment grâce à une histoire bien ficelée et un casting jouissif. Johnny Depp réussit malgré son ravalement de façade siliconé à instaurer un climat de peur, capable de péter un plomb à tout moment, pour sa meilleure interprétation depuis longtemps. La mythologie américaine c’est aussi cela, la culture du crime importée d’Europe, comme celle mise en scène par le Nouvel Hollywood des années 70.

ZéroZéroCed
7
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le 21 sept. 2016

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