(1950. Stromboli. ITA. : Stromboli, terra di Dio.
Vu en VOST, éditions DVD Blanq out.)

Fin de la Seconde Guerre Mondiale, Antonio (Mario Vitale), soldat italien chargé de surveiller un camp de réfugiés, s’éprend d’une de ses pensionnaires, Karin (Ingrid Bergman), originaire des pays de l’Est. Bien que n’ayant pas d’attirance envers le jeune homme, elle accepte le mariage fait à la va-vite car elle souhaite se reconstruire… Mais elle ne se doutait pas qu’ils iraient vivre sur la terre natale d’Antonio, une île pauvre, quasi déserte, où siège un volcan particulièrement actif : le Stromboli.
Après le succès de sa Trilogie de la Guerre (Rome ville ouverte, Païsa, Allemagne année zéro), Roberto Rossellini, pape du néo-réalisme, acquiert une grande notoriété partout dans le monde du cinéma. Il reçoit ainsi une lettre en 1948 d’une certaine Ingrid Bergman, actrice suédoise reconnue qui joua notamment dans Casablanca aux côtés d’Humphrey Bogart et reçut un Oscar pour sa performance dans Hantise. Je ne peux m’empêcher de vous livrer une partie de cette lettre restée célèbre depuis : « J’ai vu vos films et les ai beaucoup appréciés. Si vous avez besoin d’une actrice suédoise qui sait très bien parler anglais, qui n’a pas oublié son allemand, qui n’est pas très compréhensible en français, et qui en italien ne sait dire que « ti amo », alors je suis prête à venir faire un film avec vous. »
Rossellini accepta évidemment, les deux tombèrent amoureux, créant un scandale en Italie et pas seulement. En effet, nous sommes à l’orée des années 1950, et une telle relation extra-conjugale, les deux étaient mariés et avaient des enfants, fit grincer de nombreuses dents dans une société encore ancrée dans la tradition et la religion… De cette relation accouchera trois enfants, dont la magnifique Isabella Rossellini, et cinq films : La peur, Voyage en Italie, Europe 51, Jeanne D’Arc au bûcher et Stromboli qui est donc la première collaboration entre les amants. Le film fut mal accueilli notamment à cause de cette relation extra-conjugale.
Comme le disait lui-même Rosselini à propos du personnage de Karin, ce qui la caractérise le plus c’est son indépendance, son individualisme lorgnant vers le cynisme. Une peinture bien dure d’un personnage qui a tout d’une victime et qui rappelle fortement la situation actuelle de ceux que certains appellent des « migrants » … Le mariage se fait sans amour, chacun croyant y trouver son intérêt : une femme à la maison, un homme qui gagne sa vie. (On songe au film Je vous trouve très beau de Michel Blanc) Mais les deux déchanteront bien vite : Karin n’a rien d’une femme au foyer, et Antonio trouve difficilement un boulot de pêcheur.



Ingrid en fusion



Une fois arrivée sur place, Stromboli sorte d’île-prison vivant sous la menace du volcan, elle comprend qu’elle est prise au piège : ici, personne ne reste, tous cherchent à émigrer. D’ailleurs, le couple récupère la demeure d’une famille qui est partie (aujourd’hui encore, seulement 750 habitants y demeurent). Complétement en décalage avec la vie locale marquée par la tradition et la religion, Karin est toujours en pantalon (fait extrêmement rare dans les années 1950 en Italie qui plus est) et sa volonté de s’occuper, de rendre sa maison agréable, de faire fi de la réputation des uns et des autres (elle rend visite à une couturière considérée comme une traînée car non-mariée), fait d’elle une paria : « ta femme, elle n’est pas modeste », dira une villageoise à Antonio. A l’instar du film Mafioso de Lattuada avec Sordi et la divine Norma Bengel, se faire une place dans ces sociétés reculées n’est pas simple. Rapidement, les villageois traiteront de « cornuto » le pauvre Antonio, ce sans raison valable… Karin recevra une rouste pour le coup…
L’atmosphère de ce village est parfaitement retranscrite et est clairement le point fort du film. Rossellini n’est jamais aussi bon que lorsqu’il traite de la vie des petites gens, réalisme oblige. (les acteurs ne sont pas professionnels, Mario Vitale était à la base un simple manœuvre embauché pour le tournage et des habitants jouent leur propre rôle) Il aura même le « bonheur » de voir le Stromboli entrer en éruption lors du tournage, donnant encore plus de matière à un film traitant de l’aliénation, de l’enfermement physique et mental de Karin et Antonio, mais aussi finalement de toute une communauté survivant malgré tout.
Et ici, la survie passe par la pêche et notamment celle du thon, ce qui nous donne une séquence incroyable où l’on assiste à la Mattanza, technique traditionnelle de pêche qui consiste à emprisonner les thons en migration dans un filet. Une fois pris au piège, les pêcheurs les remontent et les tuent : une véritable boucherie qui éclaboussera, dans tous les sens du terme, la pauvre Karin qui avait déjà dû subir la vision d’un lapin dévoré par un furet, sous l’œil goguenard de son mari… De là à dire que Rossellini inspira Deodato pour Cannibal Holocaust, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas ! En tout cas, âmes sensibles s’abstenir ! Ces scènes peuvent paraître gratuites, mais elles servent aussi à montrer le décalage entre deux mondes qui décidément ne semblent pouvoir cohabiter.
Enfin, la fin est souvent mal perçue (elle était même absente de la version US), non pas qu’elle soit violente, choquante ou autre, mais parce qu’on assiste à un véritable chemin de croix de Karin, enceinte sur le volcan, invoquant Dieu à tout bout de champ…elle qui semblait hermétique à la religion pourtant. Athée professionnel, tout ça m’a bien fait sourire, voire soupirer, mais encore une fois Rossellini décrit une situation logique, éprouvée partout sur le globe : les pays les plus pauvres, les plus touchés par les catastrophes en tout genre…sont aussi les plus religieux ! Quand il n’y a plus rien à quoi se retenir, quand la vie qui nous attend nous répugne ou nous terrorise, comme c'est ici le cas pour Karin, seul l’irrationnel semble pouvoir soulager…
Ma critique de Europe 51, superbe film, avec le même tandem Rossellini-Bergman : http://www.regard-critique.fr/rdvd/critique.php?ID=6147

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le 3 juin 2021

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