Los Angeles - ville éclectique où les rêves semblent possibles pour tous, mais qui impose parfois d’en payer le prix -, nous est présentée à travers du voyage en une journée d’un groupe de personnages. Le long-métrage de Carlos López Estrada, déjà à l’origine de l’uppercut Blindspotting (drame brutal et poétique sur un repris de justice), sonne comme une œuvre totalement atypique, à la portée d’un film choral, à la forme novatrice voire expérimentale, tout en étant claire et concise, se passant d’exemples qui pourraient la relier à une autre œuvre. 


Pourtant, parfait candidat sorti il y a quelques mois, In The Heights de Lin Manuel Miranda et Jon M. Chu montrait le quotidien d’un quartier en voie de gentrification. Le film jonglait entre romantisme sauce Disney et ancrage social, évoquant, au détour de numéros musicaux, la discrimination, la précarité et la fierté communautaire – façon West Side Story, que l’on retrouvera en fin d’année dans une nouvelle adaptation réalisée par Steven Spielberg. Summertime vient confirmer la tendance : celle d’une jeunesse politisée, ou du moins tourmentée par l’état du monde et désireuse de revendiquer ses droits. Le concept de Summertime serait né d’un atelier de « spoken word », l’oralisation d’un texte, à mi-chemin entre la poésie et le slam, où chaque artiste donne à son récit intime une forme exigeante, rythmée et revendicative.  Les vingt-cinq jeunes artistes de cet atelier composent le casting du film, dont le principe consiste en une longue balade estivale dans les rues de Los Angeles. Carlos López Estrada offre ainsi la possibilité à vingt-cinq poètes de mettre en forme ce qu’ils pensent d’une ville, à travers un long-métrage au sein duquel le cinéaste se met véritablement au service du collectif, donnant lieu à un moment de cinéma extrêmement rare, une œuvre belle, forte, audacieuse, impactante, généreuse et inventive. 


Mosaïque pop sur la génération Z


Carlos López Estrada dépeint dans Summertime une mosaïque humaniste sur Los Angeles dans laquelle ses habitants chantent, rappent, dansent et slament leurs histoires. L’ensemble est dominé par un cinéaste qui semble avoir gardé un goût prononcé pour les vignettes pop - issu de ses collaborations aux clips de Katy Perry, Carly Rae Jepsen, Jesse & Joy ou Billie Eilish -, se mettant ici réellement au service des textes qu’il met en forme et qui prennent une place immense devant sa caméra, portés corps et âme par les différents poètes. Le cinéaste mexicain ne cherchant jamais à prendre le dessus sur ces personnages et sur ces poètes, tous excellents dans leurs rôles, mais tend plutôt à les accompagner pour rendre hommage à leur travail, donnant ainsi lieu à un ensemble qui résonne comme extrêmement touchant et puissant chez le spectateur.


Les petites longueurs, les petites maladresses, les petites répétitions sont effacées derrière la puissance créative et créatrice de Summertime, qui nous donnerait presque envie de nous mettre nous aussi à écrire des textes sur les tracas qui parsèment nos vies. De l’espoir pour notre futur, mais surtout pour le futur du cinéma. Il serait bon d’espérer découvrir de prochains films qui, comme Summertime, envoûtent dans cette capacité à conjuguer politique et fiction dans un esprit de grande modernité. Bien consciente de l’époque dans laquelle elle s’inscrit, la comédie slamée est abreuvée des luttes sociales, en plus de proposer une mise en scène originale, un montage clipesque et des textes à couper le souffle. La sincérité qui transpire de ses pores filmiques, c’est celle du cinéaste et de ces artistes provenant du collectif Literary Riot inc.


Alors que les critiques pleurent à raison depuis des années l’indigence et le formatage du cinéma indépendant US – à ce sujet, la « francisation » un poil déroutante du dernier festival du cinéma américain de Deauville en est la manifestation la plus probante -, il faut donc placer ses espoirs dans des artistes comme Miranda July (Kajillionnaire) ou Carlos López Estrada qui, en réussissant dans toutes les formes d’art qu’il convoque, du clip à l’animation (dans Raya et le Dernier Dragon) en passant par ses long-métrages, sauve en un sens par la créativité et la singularité de ses intuitions, le cinéma américain indépendant. De la même façon que, fantaisiste sans rien sacrifier de sa justesse, il offre une alternative salutaire à un Hollywood écrabouillé par les superproductions sans âme, en cherchant simplement l’émotion.


Recueil humaniste de poèmes


Certains concepts de long-métrages semblent intéressants mais peuvent également raisonner comme un peu limités s'ils ne sont pas parfaitement maîtrisés et emmenés par un auteur qui sait comment dominer son ensemble et donner un peu plus qu’une simple petite promesse de cinéma, plutôt bien menée mais ayant des limites. Carlos López Estrada nous embarque dans un voyage rare, une œuvre qui sonne comme nouvelle et étonnante par son parti pris extrêmement simple, mais terriblement évocateur et entraînant: laisser la parole à un groupe de poètes pour décrire de la manière la plus humaine et la plus touchante une ville et ses habitants, résultant ainsi en une œuvre qui sort clairement de l’ordinaire et nous passionne. 


Le nombre de poètes qui passeront devant la caméra du cinéaste ne rend pourtant jamais le tout hasardeux ou désorganisé. Le réalisateur s’est ainsi donné pour mission d’uniformiser méticuleusement chacune des performances, pour créer un fil conducteur, faisant en sorte de rendre logique le passage d’une séquence à l’autre. Un graffeur qui marque les rues de son nom, une guitariste en rollers qui chante ses soucis à la mer californienne, deux rappeurs de rue qui rêvent de célébrité, un salarié de fast-food qui slame son ras-le-bol devant ses clients : tous les personnages entrent et sortent dans les histoires des autres en laissant se dérouler le récit filmique devant nos yeux ébahis. Une sorte de ballet théâtral magnifiquement chorégraphié et dans lequel, pourtant, tout semble spontané, voire improvisé. À travers des poésies sublimes - à imprimer pour les lire et les relire –, chacun, chacune exprime ses peines de cœur, ses joies de vivre, ses douleurs familiales, ses peurs et ses espoirs. 


Summertime, titre musical s’il en est (de George Gershwin à Lana Del Rey, en passant par Ella Fitzgerald et Norah Jones) regroupe avant tout des poèmes racontant l’histoire de chacun de ses interprètes, faisant par là même la synthèse du regard de la jeunesse sur le Los Angeles de notre époque. Il évoque également la pop-culture américaine, brassant de très nombreuses thématiques allant du rapport des familles à l’homosexualité, à la rupture, en passant par la grossophobie, la lutte des classes, ou encore la culture. Toute cette bande de poètes et de conteurs des temps modernes nous plongent avec passion au cœur d’un scénario qui parvient à sonner comme équilibré et juste alors qu’il multiplie constamment les points de vue et les possibilités, mais réussit tout de même à briller par l’œil espiègle et assez génial de chacun de ces personnages, de chacune de ces situations - somme toute assez simples -, mais terriblement justes et fortes dans leur développement et dans leur contexte. Summertime devient ainsi un peu plus qu’un énième scénario de projet choral : un vrai film poétique et moderne, parlant d’une ville mais surtout de ses habitants. 


Carlos López Estrada fait preuve d’une grande générosité avec Summertime, en mettant son talent de metteur en scène au service de ces poètes, faisant en sorte de créer un immense écosystème dans lequel gravite chacun de ses personnages, choisissant de les accompagner avec sa mise en scène, sans jamais créer de rupture, passant d’un personnage à l’autre en se servant de la ville comme relais de la parole, là où tant de metteurs en scène en avaient alors fait un objet de fascination ou un personnage à part entière du récit. En mettant en forme cette idée, le cinéaste parvient à nous bercer et à nous émouvoir sans jamais nous donner envie de sortir du long-métrage, nous offrant une portée humaniste et choisissant de privilégier les artistes pour mettre sa mise en scène au service de l’humain. Ce qui s'apparente alors à une escapade dans la cité des anges devient, au fil de son avancée dramatique et narrative, un véritable voyage initiatique pour accomplir un cheminement émotionnel particulièrement splendide, donnant lieu à un moment de cinéma tout simplement rare et fort.

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le 16 oct. 2021

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