Ce genre de certitude, on l'a une fois dans sa vie

"Sur la route de Madison" est le film romantique par excellence. La rencontre totalement improbable d'une femme isolée dans une ferme au fin fond de l'Iowa et d'un homme qui parcourt le monde. Dans le décor somptueux de l'Amérique profonde, Clint Eastwood nous fait partager les tourments de Francesca, qui prend conscience qu'elle pourrait changer totalement de vie et peut-être réaliser ses vieux rêves. S'impose, alors pour elle, le choix entre l'amour romantique, qui risque de se dégrader avec le temps, et l'amour conjugal lié à sa famille. Mais jusqu'à sa mort brûlera en elle le souvenir de ces quatre jours inoubliables.

Ç'aurait alors pu être un mélodrame mièvre et sirupeux, à l'image du best-seller de Robert James Waller dont il est l'adaptation, mais c'est la finesse, la sensibilité, la pudeur et l'intelligence du coeur qui font tout le prix de cette oeuvre épurée à l'extrême. Chaque geste, simplement et magnifiquement filmé, est empreint de poésie, de langueur mélancolique, des prémisses de leur passion inéluctable: la touchante maladresse avec laquelle Francesca indique son chemin à Robert; la jambe de Francesca frôlée furtivement par le bras de Robert; Francesca qui observe Robert à la dérobée à travers les planches du pont de Roseman, puis quand il se rafraîchit à la fontaine de la cour; la main de Francesca caressant le col de la chemise de Robert; la main de Robert qui, sans se retourner, se pose sur la sienne...
C'est un film fort parce qu'il relève de la passion interdite et donc immorale. Eastwood peint le contexte social de l'Amérique rurale des années 60, le poids des préjugés, la pression de la communauté: l'adultère y est tabou et impardonnable. D'ailleurs, la meilleure amie de Francesca, toute sa vie après que Robert soit parti, c'est cette femme rejetée à la marge parce qu'elle a fauté et qu'elle a été vue.
On nous montre aussi que les changements survenus dans la socièté par la suite restent inutiles: banalisation de l'adultère, divorce... Les deux enfants de Francesca pensent au début qu'ils restent avec un conjoint qu'ils n'aiment plus par devoir civique, et là où le scénariste évite de se placer en donneur de leçon, c'est dans les choix de ces deux personnages: la jeune femme décide de quitter son partenaire, l'homme cherche quant à lui à sauver son couple. Malgré les âges qui rythment l'évolution d'une société, l'amour n'a pas changé, reste un mystère et garde la même part de beauté et d'ombre.

C'est par de petits riens, de minuscules gestes, un regard fuyant, que Meryl Streep exprime peu à peu le désarroi de son de son personnage et la mélancolie qui ronge sa vie. Son incarnation de Francesca est une merveille de retenue, de subtilité, de sensualité cachée, de tendresse infinie. Elle va apprendre à franchir la barrière invisible qui la retient dans le cocon convenable de la vie familiale correcte, tout en étant déchirée entre ce qu'elle considère comme son devoir d'épouse et de mère, et cet amour soudain et unique que l'on ne rencontre qu'une fois dans sa vie.
Le personnage de Robert est davantage monochrome, mais il n'en est pas moins profondément humain et Clint Eastwood excelle à rendre le mélange de gravité, de légèreté et d'indépendance de cet homme âgé qui aime la vie, la liberté et tous les humains.

Sans chichis, sans trucages, sans mélo larmoyant, simplement, le réalisateur nous attache à l'histoire d'amour de ces deux personnages, intemporelle et fugace. L'éphémère peut avoir des accents d'éternité, quatre jours, quelques heures peuvent changer, illuminer et sublimer une vie.
La fin déchirante, avec Francesca dans la voiture, torturée par le désir d'aller retrouver Robert, restera longtemps dans le souvenir des cinéphiles.

Une sublime certitude. Une magnifique évidence. Celle d'une rencontre intemporelle et éphémère, fugace et éternelle. Un chef d'œuvre d'une poésie sensuelle et envoûtante. A voir absolument.
Lorelei3
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes et Les films les plus tristes

Créée

le 13 janv. 2012

Critique lue 1.7K fois

5 j'aime

Lorelei3

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

5

D'autres avis sur Sur la route de Madison

Sur la route de Madison
Sergent_Pepper
9

Vers l’unisson.

Un monde parfait avait tenté, après l’âpreté crépusculaire d’Impitoyable, d’insuffler dans le cinéma d’Eastwood la question du sentiment. Dans Sur la route de Madison, nul recours à la filiation ou...

le 29 mars 2015

92 j'aime

8

Sur la route de Madison
Ornithogaleenombelle
9

Critique de Sur la route de Madison par Ornithogale en Ombelle

De mes souvenirs, j'avais attribué un 8. A présent, je lui rajoute un point parce que j'ai eu la chance et le plaisir de voir ce film au cinéma, et en VOSTFR. Ce qui ne fût pas le cas, à sa sortie,...

le 15 juin 2015

72 j'aime

24

Sur la route de Madison
Rawi
8

Raison et Sentiments

D'emblée, il faut que j'avoue que ce film est, avec Breezy, mon préféré du cowboy californien. Oui, je suis une éternelle sentimentale. Je ne les ai pas tous vus mais je peux affirmer que ce sont...

Par

le 20 janv. 2018

57 j'aime

3

Du même critique

Elfen Lied
Lorelei3
4

Il pleut, hein? Eh bien, ça nettoiera les traces de sang...

Cet OAV se situe entre l'épisode 10 et l'épisode 11 de la série "Elfen Lied". Il s'agit d'un épisode identique aux autres alors pourquoi en avoir fait un OAV? Autant le dire tout de suite, cet...

le 26 févr. 2012

27 j'aime

17