Difficile de faire remake plus éloigné de l'esprit du film original. Conscient de toucher à un matériau culte, l'équipe n'essaye jamais de singer argento, au point d'en reprendre de nombreux éléments qui y trouvent constamment une résonance différente. On retrouve l'école de danse, les sorcières (mentionnées dans le premier dialogue pour couper court à toute l'obscurité qui régnait sur le sujet dans l'original), et même le truc du comptage de pas. Toutefois, chacun de ses éléments sera utilisé à des fins différents, à commencer par le ton qui imprègne le récit. D'une image flamboyante parsemée de couleurs, on passe à un gris délavé sans contraste. De l'école de l'art coupée du temps, on passe à un berlin seventies entrecoupé d'attentats. On est bien dans un remake, mais quel but a-t-il précisément ? C'est bien là qu'est le problème, il oscille constamment entre son histoire de sorcières et ses intrigues extérieures à l'école via un psychiatre juif, sensé mené une enquête dont on connaît les conclusions dès le début du film (où l'ambiguité est brisée dès l'entretien de recrutement de susie banner). Le film ne sait absolument pas quoi mettre en valeur dans son matériau, et il hésite constamment. Doit-il privilégier les incursions fantastiques avec les visions et les effets des chorégraphies ? Doit il développer les querelles de pouvoir entre sorcières, régulièrement mises en opposition avec les violents attentats qui ensanglantent la capitale allemande ? Doit-il se focaliser sur le quotidien de Susie ou de ses amies ? Doit-il faire avancer l'enquête de son psy en développant ses souvenirs ? Sans parler des nombreuses pistes évoquées qui se perdent dans le récit, comme les aspirations féministes des sorcières, ou encore l'usage des multiples parties des corps suppliciés... On se balade constamment entre tous ces sujets, sans que l'ambiance ne prenne particulièrement. Il faut remarquer que si rien ne vient marquer la mémoire, le film reste suffisamment doué pour maintenir son statut intriguant (et cela commence avec le ballet meurtrier de susie, qui lance déjà une ambiance potentiellement vicieuse pour ses maltraitances corporelles). Puis on se perd dans un nouveau tunnel gris avant d'être harcelé de visions très classes durant les périodes de sommeil. C'est peu, mais on veut en voir plus. Et le film parvient à tenir. J'ai failli m'offusquer de l'acte 5, avec sa chorégraphie qu'on espérait grandiose, et qui nous offre de la possession au rabais, à un point tel que je pensais mettre 2/10 à la bête. Et puis, il y a eu l'acte 6.


Parfois, une séquence du film peut changer la donne. Et malheureusement, Suspiria 2018 en fait partie, ce qui rend son cas épineux. Il a nettement plus à voir avec Mother of tears qu'avec suspiria. Il est indécis et terne, et presque incapable de poser une ambiance hypnotique malgré plusieurs essais (la musique de Thom Yorke... nous allons y revenir). Et puis l'acte 6. Et là, tout fonctionne. On peut dire qu'il y a 20 minutes de chef d'oeuvre dans suspiria 2018. D'un coup, la musique hypnotique fonctionne enfin. Les visions deviennent réelles et se montrent assez longtemps pour être contemplées. Et la messe noire... LA messe noire ! On n'a pas vu une telle ambiance depuis... on me souffle Climax de Gaspar Noé, ce qui pose quand même la chose. Une orgie de violence, une ambiance décalée et anormalement hypnotique, tous les concepts horrifiques qui sont réexploités et poussés loin... Un bonheur de découvrir cela au cinéma, on peut enfin se perdre dans le film, qui trouve enfin le ton juste à donner à son trip. Car c'est un nouveau trip qu'on attendait, et pas un film d'horreur limpide. Il n'y a rien de cryptique ici, les ambitions occultes sont immédiatement dévoilées et c'était seulement l'ambiance, très évaporée, qui aurait dû compenser la visite clés en main de l'école de ballet. Le film a beau justifier ses partis pris bien plus adroitement que Dario Argento (à commencer par le langage du corps), il n'atteint que rarement son intensité de mise en scène, et ne se foule pas trop pour la technique. Sans être mal filmé, cette photographie très terne finit par lasser davantage qu'elle ne sublime les rares séquences colorées. Et le thème de Thom Yorke... Qui a eu cette idée ? Le thème principal de ce suspiria produit le même effet que la musique d'intro de Spectre (le james bond). Un décalage tellement voyant qu'il dessert son sujet en le rendant ridicule. Entendre une voix masculine aiguë me susurrer des mots doux pour Suspiria, j'étais déjà en plein malaise dès le générique. Mais curieusement, la musique finit enfin par trouver les boucles hypnotiques qu'on attendait. Tant que Thom Yorke n'ouvre pas la bouche (puisqu'on tombe alors dans le teen movie romantique question ambiance).


On coupe la poire en deux, à l'image de cet épilogue joli et hors sujet. 2 heures de gris fade intriguant mais à la saveur courte en bouche, réhaussée par un climax incroyable de 20 minutes où l'esthétique explose et offre enfin les visions qu'on voulait avoir, qui plus est avec une esthétique dans la continuité des choix du film. Si on est clairement en droit d'être déçu, on ne peut pas décemment descendre ce projet, qui possède dans sa marginalité entêtée quelques bonnes idées.

Voracinéphile
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le 16 nov. 2018

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