Pour Luca Guadagnino, le premier contact avec le Suspiria d’Argento remonte à un souvenir d’enfance, où la découverte de l’affiche vers l’âge de dix ans laissera en lui une empreinte profonde, bien avant la vision du film elle-même. Le réalisateur italien, remarqué par Call Me By Your Name, se frotte donc pour la deuxième fois de sa carrière à l’exercice difficile du remake, après celui de La Piscine de Deray avec son A Bigger Splash.


Premier constat, dans cette nouvelle version, l’écueil de la copie conforme, du mimétisme est ici soigneusement évité. En gommant consciencieusement toute référence directe au film original, Guadagnino s’affranchit de ce lourd héritage et va chercher dans le peu d’éléments restants (la trame narrative, les personnages) tout à fait autre chose, à travers une lecture plus contemporaine et politique. Exit les couleurs vives et les architectures baroques qui caractérisaient l’esthétique du film d’Argento, ici tout est terne et fait de blocs, le rouge s’imposant peu à peu comme unique alternative à ce marasme ambiant. Si le scénario suit toujours l’histoire de Suzie (incarnée ici par Dakota Johnson), une jeune danseuse venue rejoindre une prestigieuse école de danse se révélant peu à peu être le théâtre d’étranges événements se rapportant à la sorcellerie, beaucoup de paramètres ont été déviés au passage, à commencer par le lieu et le contexte.


En prenant place dans un Berlin glacial et divisé où planent les ombres de l’après-guerre, entre culpabilité de la vieille Allemagne nazie et perturbations générées par de nouvelles idéologies révolutionnaires, dans des années 70 sclérosées par le rideau de fer, c’est à un statut de film d’horreur historique auquel semble prétendre cette transposition. Malheureusement, elle est minée par ses approximations et ses maladresses tant sur la forme que sur le fond. Dépassée par sa volonté d’abstraction, l’histoire s’embourbe dans des méandres de plus en plus obscurs et laborieux, manquant cruellement d’épaisseur et de cohérence jusqu’à un final grand-guignolesque abscons. De même, le va-et-vient permanent entre les différents protagonistes traduit un cruel manque d’amour envers ces personnages, perdus, souvent inconsistants, victimes d’un procédé narratif qui, à trop hésiter, finit par lasser totalement.


Mais ce qui frappe tout d’abord dans ce film, c’est son austérité. Le cadre est rêche, les lumières froides, le montage brutal. Partout, la violence est montrée crûment, dans son plus simple appareil, tant au niveau physique que psychologique, avec une incapacité suggestive souvent regrettable. La danse, discipline au cœur du film, est un moyen de transcendance où les corps souffrent, se contorsionnent jusqu’à ce que la dernière articulation craque, effets accentués par un travail de sons remarquable. Sous ces faux-airs de Black Swan contemporain, ces scènes demeurent les plus palpitantes du film.


Hormis de fabuleuses séquences de rêves, montages épileptiques de tableaux vivants d’une force évocatrice rare, Guadagnino semble malheureusement un peu trop conscient de ses audaces artistiques, certaines envolées esthétiques prenant alors parfois un goût douteux, le film devenant par moment un objet assez indigeste, les profusions d’effets de caméra ou de filtres baveux nuisant gravement au rythme et à l’image. Reste la sublime musique de Thom Yorke, plus ou moins à propos sur ces images décharnées, et le jeu des actrices, intense et magnétique, dont nous apprécierons d’ailleurs le retour de la magnifique Jessica Harper dans un rôle énigmatique. Entièrement féminin, le casting surprend (Tilda Swinton incarnant trois personnages dont celui du Dr Klemperer, au maquillage troublant) sans toutefois parvenir à trouver véritablement de résonance quant à l’actualité.


Un film qui peine à convaincre donc, car même si les enjeux et la toile de fond historique proposent des pistes passionnantes, le tout reste beaucoup trop peu abouti et tâtonnant pour imprimer dans nos mémoires cette relecture tant attendue qui, dénuée de charme et de poésie, provoque plus de soupirs d’ennui et d’exaspération que de réels frissons.


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Kamille_Tardieu
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le 20 nov. 2018

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Le  K

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