Syngué Sabour, pierre de patience par Le Blog Du Cinéma

Ce film est l’adaptation d’un roman. Ce roman écrit par le réalisateur du film. Un roman qui lui valut le prix Goncourt en 2008. Atiq Rahimi a donc décidé de continuer la belle aventure avec son roman grâce au cinéma. Mais on sait tous qu’adapter un roman sur grand écran prive de certaines choses. On l’a vu avec Sur la route de Walter Salles, adapté du roman éponyme écrit par Kerouac. Même si le film raconte la même histoire, il n’a pas la même clarté et surtout, la mise en scène peut le priver de toute l’envergure des mots choisis. En effet, il est presque impossible de retranscrire dans un film tout (dans les moindres détails) ce que le roman contient.

Atiq Rahimi nous parle de plusieurs choses dans son film. Mais il réussira à relier tous ces thèmes avec brio. Il nous parlera d’émancipation, de liberté, de famille, de religion, de guerre. Il lève le voile sur plusieurs tabous grâce à une héroïne filmée dans un huis-clos sensible et tragique. Une sensibilité ressentie à travers les objets qui l’entourent. Comme le Coran, les objets médicaux, la photo du mari dans le coma, un rideau qui sert pour une cachette, etc. Et également tragique avec ces irruptions soudaines de soldats, ces coups de bombes dans les murs, ces fenêtres cassées, etc.

Ce côté tragique renforce le thème de la guerre. Car au milieu de toutes les armes, la femme doit s’effacer. Elle se réfugie discrètement dans la cave ou reste immobile lorsque les soldats arrivent chez elle. Elle court (dans les rares scènes extérieures) pour éviter les échanges de coups de feu, elle est choquée et atristée quand elle découvre des voisins assassinés, elle veut à tout prix protéger ses enfants en les amenant loin des lieux de combat. C’est une femme à la poursuite de la survie en plein coeur de la guerre, une femme universelle qui montre ces pauvres victimes de guerre qui n’ont rien demandé à personne et pourtant subissent la guerre de plein fouet.

Et cette femme est musulmane. Atiq Rahimi insère alors la religion dans son récit. Cette jeune femme, avec un mari bien plus vieux qu’elle. Une jeune femme qui commet le pêché de dévoiler ses secrets. Une jeune femme qui embrasse le Coran. Une jeune femme qui soumise à son mari. Et j’en passe. C’est donc un personnage qui lève le voile de la religion. Telle l’affiche du film : que se cache t-il sous ce voile ? Qu’est-ce qu’il faut savoir qu’on ne sait pas habituellement ? Et le fait que ça soit un personnage féminin qui incarne tout ceci, c’est d’autant plus puissant au vu de sa position dans la société musulmane.

Cela lui permet de créer une émancipation et une affirmation sexuelle. Elle finit par dévoiler tous ses secrets. Elle se livre à son mari (dans le coma), se met à nu alors qu’elle ne le devrait pas. Et tous ces aveux lui permet de se questionner sur elle-même, sur sa vie. Une femme qui est amenée à se redécouvrir au coeur d’un grand bordel qui détruit tout (la guerre), portant des convictions sur le coeur (la religion) :comme un nouveau départ. C’est une révélation sur les désirs d’une femme qui ne devrait même pas en avoir. Ce film est surtout le portrait d’une femme partagée entre ses désirs et la fidélité (dans le mariage et la religion).

Une émancipation et affirmation des désirs qui permettra à cette héroïne de prendre le chemin de la liberté. Une liberté qu’elle va acquérir grâce à une pierre de patience. En effet, la patience paie un jour et il faut savoir attendre pour s’approprier la liberté. La pierre de patience se révèlera être le mari de la jeune femme, qui lui offrira la liberté (vous verrez de quelle façon). Mais pour s’acquérir de cette liberté, la jeune femme devra faire des sacrifices. Le soldat amoureux, abandonner ses filles, entrer dans le mensonge, etc.

La mise en scène d’Atiq Rahimi n’est pas que sensuelle. Le huis-clos est également dévorant. Dans cette histoire, la jeune femme se livre à son mari comme elle se livre au spectateur. On est là, assis à côté d’elle, à écouter son fabuleux monologue (bien qu’avec certaines répliques et certaines scènes très scolaires) et on assiste à cette libération d’une âme emprisonnée. Mais cette libération a un prix, celui de dévorer tout ce qu’elle possède. Tout cela offert par une actrice magnifique, dans tous les sens du terme. Un film qui a l’âme et la grâce d’une tragédie antique.

Finalement, Syngué Sabour est un film qui brille de mille feux. Bien que légèrement pompier quelques fois, on n’en tiendra pas compte grâce à son actrice fabuleuse. Un film qui lève les voiles sur la religion au moment la guerre fait irruption. Une jeune femme qui doit subir des sacrifices au prix de la liberté. Atiq Rahimi nous parle d’émancipation, d’affirmation de désirs, de famille, de liberté, de religion et de guerre dans un huis-clos dévorant, sensible et éclatant. Très belle et poignante adaptation du prix Goncourt 2008.

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Auteur : Teddy
LeBlogDuCinéma
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le 12 mars 2013

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