Pitch:
Curtis LaForche mène une vie paisible avec sa femme et sa fille quand il devient sujet à de violents cauchemars. La menace d'une tornade l'obsède. Peu à peu, sa vie dédiée à la construction d'un abri pour anticiper le danger, et son comportement inexplicable fragilise son couple et provoque l'incompréhension de ses proches. Rien ne peut en effet vaincre la terreur qui l'habite...

Dans la galaxie des films de tornades, les plus vieux d'entre nous se souviendront certainement de Twister de Jan de Bont, qui sorti en 1996, faisait participer le spectateur à ce que l'on a appelé les films catastrophe.
Take Shelter est quant à lui plus complexe et nettement moins démonstratif.

Curtis LaForche, admirablement interprété par Michael Shannon, un acteur qu'on aimerait risquer à croiser plus souvent dans de futurs films tant sa prestation est admirable est un des piliers du film. Du début à la fin ses expressions sont tellements variées et convaincantes, que l'on rentre presque dans le film comme si l'on voyait un ami à l'écran.

Il est ce personnage "banal", ce monsieur tout le monde auquel on peut s'identifier assez vite: un travail routinier mais qui semble lui plaire, accompagné d'une femme aimante et dévouée jouée par l'astrale et INCROYABLEMENT belle Jessica Chastain, que l'on avait déjà aperçue dans Tree of Life notamment. À ce couple, s'ajoute la petite fille sourde du couple qui est très touchante, Tova Stewart.
Un jour, cette routine va commencer à s'enrayer, Curtis ayant des rêves ou plutôt des cauchemards liés à la tornade du siècle qui devrait tôt ou tard déferler sur sa ville. Rêves prémonitoires? Il serait injuste de raconter ici la suite du film tant son ambiance lente et inconfortable est réussie.

Les mauvaises langues ou les aveugles gavés aux blockbusters n'y verront qu'un film opportuniste, sans buildings qui tombent et qui se cale parfaitement dans l'année où nos copains mayas ont annoncé la fin du monde.
Ceci dit, ce serait être à côté du sujet tant Take Shelter malgré sa lenteur et sa mise en scène, ses thématiques riches est plutôt dans le cadre du nouveau genre visiblement prisé par quelques réalisateurs (on se souviendra de Lars Von Trier et son Melancholia): le film catastrophe intimiste.

Pour mettre en place cette lente progression d'un évènement qui semble comme soudainement arriver, Jeff Nichols use et abuse jusqu'à plus soif de cadrages larges pour les panoramas comme écrasés par un malheur d'une puissance inimaginable qui va arriver. À cette mise en scène, il les accompagnant d'une musique, qui ferait presque penser à du Silver Mt. Zion ou du Godspeed You! Black Emperor pour ses nappes atmosphériques et écrasantes, angoissantes. C'est à David Wingo que l'on doit ce prodige, dont un extrait ici donnera une idée du son: http://tinyurl.com/7cfamnj, et qui compose cette fin de monde, cette tempête sous crâne qui se passe dans le personnage de Curtis mais aussi dans celui du spectateur / acteur emprisonné dans l'attente d'un évènement qui va arriver.
Dans un autre registre, il cadre de manière serrée pour montrer l'expressivité et les émotions fortes qui se dégagent des personnages ce qui donne le sens aux termes drame intimiste.

Car c'est cette force qui transperce le film et les personnages: la vacuité relative et l'insouciance qu'ont les autres habitants pour Curtis qui n'arrive pas à partager sa peur qui donne cette légereté qui contrebalance la boule au ventre qui rend la vision du film difficile.
Il n'y a rien de pire que d'attendre, d'espérer ou plutôt de croire que ce ne sont que des illusions, un évènement dramatique qui changera la face du monde.

C'est cette route sinueuse, trouble et désagréable que le film réaliste souhaite démontrer. De voir à quel point les convinctions d'un homme sont-elles ou non, vraies.
Il n'y a point de mensonges, il n'y a point de vérités absolues, il n'y a que le chemin que l'on souhaite emprunter et vivre qui influencera, impactera et fera progresser sa vie sur celles des autres.
De l'interaction et de la capacité à convaincre ses proches que non, l'on n'est pas fou, c'est l'idée de ce brillant Take Shelter qui ferait presque un sans faute s'il avait su s'arrêter à temps.

Hélas et mille fois hélas, les 10 dernières minutes sont également une leçon de "cut / stop" pour tout apprenti réalisateur ou pour toute personne aimant un minimum les films cohérents du début à la fin.
Difficile d'en dire plus sans spoiler, mais il serait juste au moins de préciser la pensée avancée:
Take Shelter est un film réaliste, qui a un contexte réel même si les lieux sont globalement indéterminés dans l'Amérique paysanne, et la fin amène le film vers un mysticisme malvenu et qui hélas, mille fois hélas, brise la progression du récit.
Certes, ce n'est qu'un avis parmi tant d'autres, mais à la vue de l'idée occupant le 90% du film, difficile de ne pas être un brin agacé voire énervé quant après des scènes émotionnellement incroyables comme celle du bunker où la famille se protège contre la tornade (mini spoiler) la suite vient apporter un côté prophétique et malvenu cassant avec la logique et la crédibilité des personnages.
À moins que le choix de ces séquences finales n'ait été "imposé" via des projections tests qui n'auraient pas aimé les fins à la "Serious Man" comme dans le film des frères Coen...difficile à dire ce qu'il en a été vraiment.

Toutefois, il serait dommage de se priver de cette petite merveille qui fera parler d'elle cette année tant le film a d'autres qualités à proposer.

En conclusion, Take Shelter est le 2ème et brillant film d'un réalisateur qui souhaite amener une réflexion sur ce que l'on croit ou non être vrai, il possède également la classe et la maîtrise d'une réalisation impeccable et esthétiquement très belle de haut niveau.
Associé à ces éléments qui feront passer un grand nombre de films pour des essais de débutant, il arrive à provoquer chez le spectateur cette désagréable sensation, ces émotions d'attente et d'impatience face à des évènements qui nous dépassent et sont plus grands que soi. Pour peu, on pourrait se risquer à le comparer à un film d'un autre génie, où des oiseaux attaquant des humains sont la menace divine qui viendra du ciel.

Take Shelter est à mi-chemin entre légèreté et une peur étouffante, dramatique.
Brillant même si imparfait sur la fin.

Très très recommandable en tout cas.

Note: 8/10

Trailer: http://youtu.be/I5U4TtYpKIc
Aeneman
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le 2 févr. 2012

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Aeneman

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