Un miroir qui ne reflète pas, un comble, non ?

Take Shelter m'a déçu. Je ne comprends pas ce fol engouement pour un film qui ne transcende pas le spectateur, qui ne se sert pas de tout le matériel qu'il possède.

Pourtant, la bande-annonce était fort accrocheuse: un homme en proie à une névrose dont on ne connaît pas l'origine, des phénomènes météorologiques inexpliqués, des acteurs charismatiques. Ce qu'elle cache, cependant, c'est l'incapacité du réalisateur à rendre son récit efficace. Ainsi, il s'en déroule des événements intéressants tout au long du film, mais ceux-ci ne sont pas vraiment mis en valeur. Les vrais moments exaltants sont les rêves ultra-réalistes de Curtis qui donnent froid dans le dos à chaque fois, et qui sont véritablement efficaces dans leur mise en scène. Le jeu des personnages est quant à lui excellent, entre la femme désemparée jouée par Jessica Chastain et Michael Shannon qui livre une prestation impressionnante, et c'est ce jeu-là qui permet au spectateur de rentrer dans l'histoire de cette famille.

Mais ce qui est fortement dommage, c'est le manque de personnalité du film. Je commencerai par la pauvreté de la photographie, élément assez important dans un film qui veut instaurer une ambiance mystérieuse, malsaine et retranscrire la folie du personnage. On a ici droit à une image bien fade, qui ne cherche même pas à nous faire profiter des paysages magnifiques qui semblent entourer le lieu de l'intrigue. Ensuite, le film s'étire vraiment en longueur, alors qu'étrangement, on ne trouve pas de moments entièrement inutiles ou pauvres. J'ai surtout eu l'impression que le réalisateur n'a pas su exploiter au maximum les ressources que lui offraient son scénario, et celui-ci aurait pu rendre des moments qui passent inaperçus vraiment marquants. Que ce soit la scène où la gamine s'amuse avec une planche en bois cloutée, ou le passage dans l'abri, celles-ci sont expédiées alors que cette dernière fait quand même partie des plus attendues du film !

La thématique du double est omniprésente dans Take Shelter, mais celle-ci n'est pas parfaitement traitée. Je veux bien que l'on brouille les pistes entre réalité, hallucination et rêves, sans pour autant rendre le film opaque. On est quand même censé mieux comprendre l'état mental du personnage que lui-même, et quand ce n'est pas le cas, on a tout de même le droit à une explication à la fin, comme le fait David Fincher dans Fight Club par exemple. Tout est clair, mais ça n'enlève rien au charme du film.

Pour en rajouter une couche, Jeff Nichols souhaite faire un film centré sur Curtis LaForche, mais pour cela, c'est plutôt sympathique de nous le faire connaître ce bon personnage. En tout cas, je ne me suis pas réellement attaché au personnage principal, ni aux autres d'ailleurs, car j'ai eu l'impression que je devais comprendre tout seul des phénomènes qui n'ont pas une ébauche d'explication. Les personnages sont tellement peu présentés qu'on en vient à se demander qui est ce grand dadais qui vient faire la leçon à Curtis, alors que c'est... son frère. Les rôles sont vains, chaque personne est une esquisse de lui-même à qui on n'aurait pas appris à faire connaître son état. Quant à la description minutieuse de l'Amérique dont parlent certains, je n'en ai pas vu la couleur. Si parler d'ouvriers qui se bourrent la gueule tous les soirs, de leurs femmes esseulées et de la rumeur présente dans les villages doit être défini comme une représentation de la société, celle-ci est alors bien pauvre.

Cependant, on attend la fin pendant tout le film, et celle-ci ne déçoit pas, et heureusement relance l'intérêt du film. Mais comme Jeff Nichols aime laisser son spectateur dans l'obscurité, elle induit un certain nombre de questions qui resteront sans réponse. Tout cela pour dire que j'ai l'impression de ne pas avoir vu le même film que les spécialistes et leurs critiques dithyrambiques. Take Shelter laisse un sentiment de frustration malgré ses points positifs, et c'est plus ce sentiment qui me pousse à mettre une note aussi sévère, car finalement, il fourmille d'idées très intéressantes.
Sonoflake
5
Écrit par

Créée

le 23 janv. 2012

Critique lue 369 fois

Sonoflake

Écrit par

Critique lue 369 fois

D'autres avis sur Take Shelter

Take Shelter
takeshi29
9

D'ores et déjà un classique

Si vous n'êtes pas contre une bonne dose de cinéma anxiogène, ou si vous aimez Terrence Malick, ou si vous frissonnez encore en vous remémorant le dernier plan de "Melancholia" (1), ou si vous êtes...

le 18 mars 2012

86 j'aime

10

Take Shelter
guyness
7

Twist lent au bal orageux de la fin du monde

Bâtir un film sur son dénouement est éminemment casse-gueule. D'autant que d'entrée de jeu, seule deux options sont proposées: soit notre héros est fou, soit il est visionnaire. De ce nœud classique...

le 21 mai 2012

81 j'aime

10

Take Shelter
Miho
5

Protège-moi

Après son remarqué Shotgun Stories, Jeff Nichols fut consacré cette année lors de la Semaine de la Critique à Cannes avec Take Shelter, chronique sociale et familiale matinée d'ambiance paranoïaque...

Par

le 12 juin 2011

65 j'aime

7

Du même critique

Yellow Submarine
Sonoflake
7

Sea of Colors

Yellow Submarine est une belle représentation de la frénésie dans laquelle se trouvaient les Beatles à cette époque-là. Entre psychédélisme, surréalisme, absurde, le spectateur reste malgré tout...

le 26 nov. 2011

7 j'aime

La Nuit du chasseur
Sonoflake
8

La simplicité comme poésie

Ce film est une véritable ode à la vie et un hommage non-dissimulé à ce que peut endurer un enfant et jusqu'où celui-ci peut aller pour trouver son petit coin de bonheur. Bien sûr, tout cela s'est...

le 6 nov. 2011

7 j'aime

1

Victoria
Sonoflake
9

A consommer cul sec

Victoria vous met au défi. Il vous invite poliment à vous attacher à ses personnages, à vous donner foi en la joie humaine, pour détruire l'une après l'autre les briques de l'espoir qu'il avait...

le 26 déc. 2016

3 j'aime