Jeff Nichols veut nous étouffer, nous désorienter pour mieux déstabiliser notre place de spectateur. Briser le recul, le regard objectif, pour que nous puissions entrer dans une subjectivité. Celle de Curtis, de son entourage, de son épouse, celle d'une folie rampante...
Il parvient avec beaucoup d'habilité, faire émerger la difficulté de la folie, celle d'une étrangeté banale, celle d'un décalage constant dans une normalité.
On suit Curtis dans ses angoisses, ses cauchemars, ses fuites et son courage de faire face, on est perdu devant un homme dont bien des mains peuvent se tendre mais la maladresse, la peur, la colère font barrage.
La mise en scène est sobre et épurée, la bande son discrète ne fait pas jouer les violons du pathos à tout bout de champ et la peur, la sensation qu'il y a aucune autre issue que d'aller courir se mettre à l'abri de cette tornade annonçant cette folie dont tout laisse à penser que rien ne pourra l'arrêter.
Michael Shannon réalise une très bonne performance d'acteur qu'il a l'intelligence de jouer en pudeur et en retenue pour mieux faire exploser le tout.
C'est un des meilleurs films traitant de cette anormalité qui s'ancre dans le quotidien. On est loin des films spectacles traitant de la folie comme d'une caricature comportementaliste.
Freud parlait de "das unheimlich" l'inquiétante étrangeté, ce film en est la parfaite illustration.