"Tanna" pose beaucoup de questions fondamentales sur l'art cinématographique... mais à ses dépens, souvent, malheureusement. Si on voulait être méchant et caricatural, on pourrait résumer ce film en disant qu'il s'agit de l'histoire de deux jeunes amants dont la mort réconcilie leurs familles ennemies. On l'aura compris, c'est une variation (pour ne pas dire un décalque) sur le thème de Roméo et Juliette dans l'archipel du Vanuatu. Une variation très légère, tant la trame narrative pure est cousue de fil blanc, d'une blancheur désagréable. On pourrait aussi arguer que beaucoup d'histoires d'amour se ressemblent, mais tout de même...

Le film, nous dit-on, est réalisé par un duo de documentaristes. Mais au lieu de faire un documentaire sur le peuple Yakel, ses coutumes et la culture de la Kastom, Martin Butler et Bentley Dean se sont lancés dans la reconstitution d'un fait historique fondateur de l'île de Tanna, joué par la tribu elle-même. Les acteurs n'en sont donc pas vraiment, mais cela ne se ressent pas vraiment. On réécrit l'histoire pour nos yeux occidentaux, en quelque sorte, avec le label "authentique" un peu trop mis en valeur. Le scénario a beau avoir été écrit en collaboration avec les auteurs de l'histoire qu'il relate, le récit a beau vouloir illustrer une certaine forme d'universalité, je ne peux m'empêcher d'y voir un film qui recherche le pittoresque et les belles images plutôt que le fond d'un quelconque sujet. La contemplation sur fond de volcan en éruption, avec la grande musique lancinante on ne peut plus classique, ça va un moment, mais à un tel niveau de répétition, l'indigestion guette. "Tanna" vire à l'illustration pure, sans recul et, fatalement, sans grand intérêt.

D'un point de vue visuel, il n'y a pas grand-chose à redire : l'œil du photographe est derrière tous les plans fixes, dans la jungle jusqu'en haut du volcan. D'où les questions, nombreuses. Le cadre géographique original se suffit-il à lui-même, comme le caractère méconnu de cette culture, à l'image d'un écrin de luxe pour une histoire sans surprise ? Peut-on cautionner une telle expression de naïveté sous prétexte qu'il s'agit d'une tribu aborigène perdue au fin fond d'une île de l'Océan Pacifique ? L'authenticité d'un récit est-il mesurable à celle de ses interprètes ? On est en droit d'en douter. Et dans cette perspective, pourquoi ne pas avoir fait un documentaire, racontant les rites de la tribu ainsi que la tragédie amoureuse et historique à l'origine du scénario, au plus près des principaux intéressés ? Qu'est-ce qui motive ici la fiction ? Difficile de trouver des éléments de réponse. On sort du film avec l'impression tenace qu'on a cherché à endormir notre esprit critique en nous berçant avec de belles images saupoudrées du soupçon d'exotisme adéquat. Comme un guide touristique.


N.B. : un article très intéressant au sujet du contexte de tournage et des critiques du film notamment en termes de recherche d'exotisme qui n'est pas forcément ce que l'on croit : https://journals.openedition.org/jso/10481

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le 1 mars 2023

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Morrinson

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