Tarnation
7.2
Tarnation

Film de Jonathan Caouette (2004)

Dissection mentale qui fait mal

Asséchant le coeur de son auditoire, au fur et à mesure de sa plongée dans un passé chaotique qu'il cherche lui même à appréhender, Jonathan Caouette se livre avec Tarnation sans aucun détour. Pour le meilleur et pour le pire, il rassemble, au sein d'un même film, des séquences tournées aux moments clés de sa vie, pour livrer son témoignage, sorte de thérapie personnelle par l'image qui ne fait aucune concession. De son enfance troublée, à sa vie d'adulte tourmenté, à travers la vie et l'histoire de sa mère, il choisit de partager le maximum, quitte à parfois frôler l'impudeur avec insolence.


Car sa confidence sans retenue peut parfois mettre mal à l'aise. Se faire inviter dans l'intimité de cette famille en proie au trouble donne le sentiment d'être un peu de trop, d’être le témoin d'images qui ne nous sont pas destinées. Que ce film de famille, où de rares moments d'allégresses côtoient de cruelles confrontations, semble s'être égaré. Mais si l'on se pose ces questions pendant toute la première moitié de Tarnation, qui repose un peu trop sur des images d'archive fixes simplement accompagnées de texte, rapidement on se rend compte que Jonathan Caouette va au delà du simple film mémoire. C'est une réelle opération à coeur ouvert qui commence alors, une introspection douloureuse qu’il cherche à construire.


Le sentiment que toutes ces images ont été tournées par un oeil apeuré, qui se cachait derrière l'objectif pour se sentir en sécurité, se fait alors très vif. On comprend que le jeune cinéaste s'est constitué un refuge dans les bobines dont il nourrissait sa caméra. "La vie est un rêve qui ne s'arrête jamais", le message est clair, et le témoin vidéo de son adolescence, monté dans le chaos, exacerbé par des effets visuels intarissables, le martèle à l'écran sans ménagement.


Et puis, avec le temps qui s'écoule, Tarnation change d'intonation. Moins énervé, plus posé, il mute progressivement d'outil de confidence par la provocation en une arme redoutable, destinée à faire parler les autres. La voix se tempère, toujours aussi agressive parce qu'elle pose les questions sans détour, mais aussi plus calme et subtile. Jonathan Caouette, à la fin de cet éprouvant parcours, comprend qu'il est parvenu à une certaine stabilité, même s'il souffre toujours autant de l'image que lui renvoie cette mère, qu'il aime par dessus tout, mais dont il redoute l'effet miroir sur son esprit fragile.


C'est assez logiquement que Tarnation se conclut sur une jolie image : mère et fils, paisibles, trouvent le sommeil. Une accalmie que l'on devine passagère, mais qui témoigne d'un équilibre certain, même si instable. Jonathan Caouette finit son introspection avec un optimisme nécessaire sans toutefois se mentir : l'ombre imprévisible de sa mère est toujours présente. Ombre qu'il remettra en lumière 8 ans plus tard, dans le plus mature et toujours aussi touchant, Walk Away Renée.

oso
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste L'ours, Homo Video, en 2014

Créée

le 29 juil. 2014

Critique lue 423 fois

4 j'aime

2 commentaires

oso

Écrit par

Critique lue 423 fois

4
2

D'autres avis sur Tarnation

Tarnation
Sergent_Pepper
8

Autofilmographie

Projet hybride, Tarnation échappe à la codification traditionnelle dans laquelle on a coutume de classer les films. C’est, en quelque sorte, un journal intime vidéo, repris rétrospectivement sous la...

le 21 août 2018

21 j'aime

1

Tarnation
AAline
7

Critique de Tarnation par AAline

J'ai écris 7/10 au hasard. Si on peut être réticent sur la démarche qui conduit à noter une oeuvre, dans ce cas-là, la question se fait inévitable à mon sens. S'agit-il d'un documentaire ? Le...

le 1 oct. 2010

11 j'aime

Du même critique

La Mule
oso
5

Le prix du temps

J’avais pourtant envie de la caresser dans le sens du poil cette mule prometteuse, dernier destrier en date du blondinet virtuose de la gâchette qui a su, au fil de sa carrière, prouver qu’il était...

Par

le 26 janv. 2019

81 j'aime

4

Under the Skin
oso
5

RENDEZ-MOI NATASHA !

Tour à tour hypnotique et laborieux, Under the skin est un film qui exige de son spectateur un abandon total, un laisser-aller à l’expérience qui implique de ne pas perdre son temps à chercher...

Par

le 7 déc. 2014

74 j'aime

17

Dersou Ouzala
oso
9

Un coeur de tigre pour une âme vagabonde

Exploiter l’adversité que réserve dame nature aux intrépides aventuriers pensant amadouer le sol de contrées qui leur sont inhospitalières, pour construire l’attachement réciproque qui se construit...

Par

le 14 déc. 2014

58 j'aime

8