En 20 ans de carrière, Jafar Panahi a réalisé huit films, chacun se retrouvant primé dans divers festivals. Sa dernière oeuvre ne fait pas exception à la règle, en recevant l'ours d'or du meilleur film au festival de Berlin.


Le réalisateur Iranien Jafar Panahi se glisse dans la peau d'un chauffeur de taxi, pour nous permettre de découvrir son pays, à travers les divers personnages, qui vont voyager avec lui dans les rues de Téhéran. Mais ce n'est pas un simple film, il est réalisé dans un contexte particulier. Jafar Panahi est frappé par une interdiction de filmer et de quitter son pays. Son film devient un acte de résistance et il fait preuve d'ingéniosité en utilisant une seule caméra, pour passer inaperçu. Son taxi se transforme en un lieu ou l'on peut s'exprimer en toute liberté, sans craindre les foudres d'un état répressif.


Cela commence par un premier affrontement entre un voleur à la tire et une institutrice. Il pense que l'on doit tuer les gens qui volent, elle pense qu'on doit essayer de comprendre, pourquoi ils en arrivent là. Un homme qui pense comme son gouvernement, face à une femme instruite. Deux mondes qui s'opposent, ou le dialogue semble impossible. Un constat effrayant, surtout qu'on nous fait comprendre, que récemment des voleurs furent pendus en exemple, pour dissuader d'autres, de faire de même. Mais comment survivre, dans un pays ou la misère est présente. Ils volent par nécessité et non pour le plaisir.


Mais Jafar Panahi va alterner les moments graves, avec d'autres plus légers, comme ce revendeur de DVD clandestin. C'est son moyen à lui de vivre, mais il permet aussi d'apporter de la culture et de contourner la censure. Il fait croire que le réalisateur et son associé, sa fourberie est touchante. Il y aussi cet accident, avec un homme qui veut faire son testament, pour que ses frères ne dépouillent pas sa femme. Elle est présente, tenant son corps ensanglanté sur ses genoux, mais ne perd pas de vue, l'essentiel, le fameux testament, c'est jouissif. Ou ces deux femmes qui doivent absolument remettre à l'eau deux poissons rouges, sinon elles risquent de mourir. Ce sont diverses générations et croyances, qui débattent sous nos yeux. On rit de leurs réactions, de leurs réflexions, tout en continuant de découvrir des vérités, sur leurs conditions de vies.


Ces scénettes se déroulent toujours à l'intérieur du taxi. On en sortira pas, un seul point de vue, mais avec plusieurs angles : Jafar Panahi, ses passagers et les rues. On voit la vie qui s'agite autour d'eux, de ces femmes qui ne peuvent sortir que voilées, sans avoir un seul contact avec les hommes. De ses paysages méditerranéens, ou le soleil semble agréable. Puis, il y a sa nièce, au caractère déjà bien trempé. Dès qu'elle débarque, le film prend une autre tournure. Elle est la seule enfant présente dans le taxi. Elle représente l'avenir, même si elle est prise entre deux influences, celle de sa maîtresse et de son oncle. Elle doit réaliser un court-métrage pour son école, mais ne doit montrer que le bon côté de son pays. Les hommes doivent être barbus, ne pas porter de cravates et ne pas avoir un prénom Persan. Mais surtout, elle ne doit pas faire preuve de noirceur, tout en filmant la réalité. Elle se questionne sur cette contradiction et en fait part à son oncle, dont le regard en dit plus long, que n'importe quel discours. Elle se retrouve à filmer un autre enfant, faisant les poubelles pour survivre. Elle ne peut montrer cela, sauf si cela se termine bien. Elle va l'inciter à rendre l'argent, qu'il a trouvé au sol, pour sauver son film. Une réaction démontrant, l'influence de son institutrice et donc de l'état, sur son esprit. Malgré tout, elle est bien entourée et va faire la rencontre de la femme aux roses, l'avocate Nasrin Sotoudeh. Elle a aussi connu la prison et fait la grève de la faim, comme Jafar Panahi.


De fiction, le film colle de plus en plus à la réalité. Pourtant, ils ont toujours le sourire et respire la joie de vivre, malgré leurs conditions de vies difficiles. Jafar Panahi reste hanté par la voix de son geôlier, son ami est agressé par ses propres voisins, d'autres connaissances sont en prison, mais il continue sa lutte, pour nous offrir ses témoignages. C'est un résistant, sa caméra est son arme. On sent de l'humanité dans son regard, comme dans celui de sa nièce et de l'avocate. Ce qu'ils font semble banal pour nous, mais pour eux, ils risquent la prison à tout moment. L'Iran est un pays fermé, mais Jafar Panahi nous permet de voyager avec lui, d'être témoin de la situation politique dans son pays. C'est un homme courageux, qui force le respect et la sympathie.


C'est un beau film, drôle, touchant et militant. Jafar Panahi a fait preuve d'intelligence et d'inventivité, pour mettre en scène ce docu-fiction. Cette fenêtre qui s'ouvre sur son pays est un hymne à la liberté et un beau moment de cinéma.

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le 21 avr. 2015

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Laurent Doe

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