Le travail de Panahi n'est a priori pas foncièrement choquant et bien plus révélateur de la société dans laquelle il vit, mais en 2010 la lucidité de son cinéma lui a valu une interdiction de quitter l'Iran et de filmer pendant 20 ans...rien que ça.
En se mettant un minimum à sa place, on pourrait se dire qu'on aurait méchamment les boules, qu'on péterait une durite et qu'après une lourde dépression, on comploterait secrètement une révolution sanglante pour mettre la tête de ces immondes frustrés phallocrates sur un grand pic à brochette...mais Panahi a plus de classe que ça.


Le film raconte l'histoire de Jafar Panahi himslef devenu taxi man, suite aux complications que l'on connaît. Muni d'une caméra cachée, il filme plus ou moins à leur insu les passagers qu'il prend et dépose. C'est l'occasion de rencontrer des profils différents, entre une institutrice, un couple de grand-mères superstitieuses, un homme entre la vie et la mort, un fan de cinéma ou encore une nièce au caractère bien trempé.
Mais l'intérêt du film ne tient pas uniquement à ces rencontres. Ce qui fait le piment de Taxi Téhéran est son profil bâtard. Si j'ai bien précisé que le film raconte une histoire, c'est justement parce que sous des allures de film documentaire, le tout est en fait une fiction (sauf que pas vraiment comme on verra)! Les personnages qui montent dans le taxi ne sont pas de vrais usagers, mais des comédiens. De même la caméra caché présente dans l'histoire n'est pas le seul point de vue offert au spectateur et il y a vraiment mise en scène au sens propre du terme (découpage de l'action, placement des acteurs...).


En somme, Panahi a choisi l'esthétique du "found footage" pour filmer ce qui est en réalité une fiction très bien millimétrée (le premier plan du film est à ce titre une merveille de chorégraphie et installe un doute tenace sur le côté documentaire - mais on croit aussi à un énième film entièrement en plan séquence comme c'est la mode grâce au numérique).
En partant de ce principe, le film multiplie les mises en abimes à un niveau assez vertigineux, entre la fiction devant nos yeux, le documentaire que le film est censé matérialisé, le sujet que Panahi est en train de chercher en conduisant son taxi et les véritables conditions de tournage et de vie du réalisateur qui tourne vraiment de façon clandestine.
Malgré la précarité de son dispositif (une caméra dans un taxi plus quelques autres petits objectifs compris dans l'histoire) le réalisateur arrive aussi à créer une jolie cohérence visuelle, comme lors d'un plan qui montre la nièce de Panahi filmer un garçon a travers la fenêtre de sa voiture tandis que le gamin va voir des mariés eux mêmes filmés par une autre personne.


Ces espèces de poupées russes finissent par transmettre une question importante qui traverse le film et qui très implicitement (car on est loin d'un film apologue ou pamphlétaire) montre le sentiment d'injustice et d'incompréhension du cinéaste : qu'est-ce qui vaut d'être juste ou inversement condamnable? Dans les films approuvés par l'Iran, les hommes positifs ne doivent pas porter de cravates ni avoir un nom persan. Mais quand est-il des personnages ambigus, comme le vieil ami de Panahi, qui d'un côté s'est fait injustement agressé mais de l'autre trompe sa femme (et qui d'ailleurs porte bien une cravate et un nom persan)?
Rétrospectivement cette question peu pratiquement se poser chez tout les personnages que rencontre le chauffeur, lui-même compris (au détour d'un dernier plan plutôt comique - le bienfaiteur qui enfreint la loi se fait lui-même voler). Dans la mesure où une personne ne peut pas être jugée unilatéralement, comment pourrait-on la filmer sans enfreindre une morale dogmatique?


C'est ce genre de questions que pose Panahi, avec finalement beaucoup de calme et de sang-froid, attitude qui est peut-être la seule chose m'ayant dérangé pendant le film. L'image d'un réalisateur mûr, sage et calme, connu et apprécié de tous et qui dans sa grande mansuétude éclaire le chemin de ses proches est un poncif qui m'agace (cf le personnage du réalisateur dans l'imbuvable Étreintes brisées d'Almodovar), auquel je préfère l'image d'un réalisateur plus torturé et dévoué à son art (comme le Ed Wood de Tim Burton et le peu connu mais très sympathique Cecil B. Demented de John Waters)...en même temps comment Panahi se montrerait-il autrement?

Moonki
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le 23 avr. 2015

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