Terrible loi de la jungle

En découvrant une comédie française se déroulant dans la jungle Guyanaise, on ne peut s'empêcher de repenser au formidable La Loi De La Jungle d'Antonin Peretjatko de 2016. Si l'on n'atteint pas un tel niveau de réussite (la barre était haute) le résultat est quand même très honorable, et il est éclairant d'étudier les différents traitements opérés par ces deux films sur l'humour d'une part et l'utilisation du cadre tropical d'autre part.

Terrible Jungle nous conte le parcours d'Eliott joué par Vincent Dedienne, jeune anthropologue parti à la rencontre du peuple des Otopis en Amazonie, tandis que sa mère part à sa recherche pour le ramener. Les bandes annonces se sont plutôt concentrées sur les déboires de Catherine Deneuve avec la gendarmerie en la compagnie de Jonathan Coen, mais il faut plutôt voir ces scènes comme des récréations au milieu du parcours de Vincent Dedienne. C'est lui qui incarne le centre du récit, et là où l'on aurait pu se contenter d'une suite de sketchs sur la dure vie sous les tropiques le film porte un regard plus acéré que prévu sur nos idées préconçues.

La Loi De La Jungle utilisait son cadre pour évoquer l'absurdité du marché du travail, la jungle était l'endroit où se perdaient les éternels stagiaires dont se débarrassaient les embaucheurs. Ici les réalisateurs Hugo Benamozig et David Caviglioli exploitent surtout nos propres clichés concernant les films d'aventure tropicaux et les indigènes qui les habitent. Eliott s'est enfoncé dans ce territoire farouche pour nourrir ses fantasmes typiquement occidentaux sur les peuples qui sont proches de la nature, or il s'avère que les indigènes n'ont plus ni le mode de vie ni la mentalité décrite dans les manuels du parfait petit colon paternaliste. Le duo anthropologue/indigène représenté par Vincent Dedienne et Alice Belaïdi est l'incarnation de l'expression "l'herbe est plus verte chez le voisin", sauf qu'Eliott vit un rêve de bourgeois en mal d'exotisme alors que sa comparse cherche à améliorer son quotidien. C'est un constat très amer qui est fait sur la dilution, l'évolution et finalement la disparition d'une culture quand une autre apparaît, pour le meilleur et surtout pour le pire. Et en même temps c'est le destin de chaque civilisation de se faire influencer par les voisins proches et d'accueillir des origines différentes au sein de sa population. Le personnage d'Alice Belaïdi est là pour rappeler qu'aucun de nous ne crache sur le confort moderne, quand bien même les traditions peuvent se révéler attrayantes pour ceux qui ne les ont pas vraiment connues et qui s'imaginent que c'est un choix de se contenter de peu.

Et avec tout ça est-ce que c'est drôle ? Plutôt oui, bien que principalement pince-sans-rire au lieu d'être hilarant. Pour vous donner une idée, un accident de projecteur m'a contraint à annuler ma première séance au bout de 10 mn de film. J'ai recommencé 4 jours plus tard, j'ai donc dû revoir ces dix premières minutes et malgré ça je me suis de nouveau amusé de quelques répliques ou de la mise en scène. Cette dernière reste généralement fonctionnelle mais un peu en retrait et participe rarement à l'humour en dehors de quelques arrière-plans, sauf pour cette scène d'ouverture qui marche à chaque fois sur moi, parce qu'elle instaure un climat de tension rigolote basé sur des raisons parfaitement stupides tandis que la musique en rajoute. Pour le reste, reprenons notre comparaison initiale : La Loi De La Jungle visait un humour absurde voire cartoon, avec quelques saynètes qui pouvaient parfois introduire un peu de poésie. C'était très récréatif et ingénieux. Terrible Jungle ne fait pas rire aux éclats mais il a l'art de placer la petite pique ou incongruité qui fait sourire. Son écriture comique repose sur des remarques douces mais acerbes sur les contradictions des uns et des autres (Dedienne, parfait avec son sourire de faux-jeton), sur l'effondrement des clichés anthropologiques ou cinématographiques et sur de la caricature.

Ce dernier point est assuré par les gendarmes et notamment Jonathan Cohen, et il n'est pas évident car la caricature est un art qui demande un grand doigté. Trop de comédies se sont cassées les dents en rendant leurs personnages insupportables au point d'aspirer toute bonne humeur. Hugo Benamozig et David Caviglioli réussissent cet équilibre grâce à deux éléments. D'abord les personnages caricaturaux gardent un côté touchant dans leur naïveté à l'image d'un Perceval, qui permet de ne pas trop les prendre en grippe. Ensuite leur incompétence ne sert pas de prétexte pour empêcher l'intrigue d'avancer ou provoquer des interruptions énervantes. L'enquête de Catherine Deneuve et des gendarmes n'est qu'un à-côté du film pour offrir quelques respirations et les réalisateurs évitent de nous faire tourner en rond avec eux. On a bien un gag qui traîne en longueur mais sinon ils ont juste le temps de présence nécessaire pour qu'on les apprécie.

Terrible Jungle ne constituera pas un classique. Il est toujours sympathique, il fait régulièrement mouche mais il lui manque ce grain de folie qui permettrait que l'on ait envie de se le repasser plusieurs fois. Mais ce qu'il propose est déjà très réjouissant, surtout pour un premier film de ses réalisateurs. Il remonte le niveau des comédies françaises et offre le divertissement de l'été idéal.