Tesis
7.1
Tesis

Film de Alejandro Amenábar (1996)

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Pour un premier long métrage, le moins qu'on puisse en dire, c'est que Alejandro Amenábar la place haute, la barre.


Troublant, haletant, violent et dérangeant, Tesis est un joli monument du thriller espagnol. En plaçant au centre de son intrigue des élèves d'une école de cinéma, Alejandro Amenábar questionne tout au long de son œuvre sur la portée des images et le but du cinéma, notamment à travers les mots du professeur Castro qui conseille allègrement à ses élèves de faire du cinéma pour le public, pour les spectateurs.
Il faut leur donner ce qu'ils veulent voir, c'est ça qui rapporte.


A ce message se superpose une critique sous-jacente de notre voyeurisme quotidien, à travers la première scène qui montre la curiosité perverse d'une Angela qui est visiblement dégoutée par la violence mais se démène pour voir le cadavre d'un homme scié en deux par un métro de passage. Curiosité malsaine qui fait écho à la dernière scène [spoil de la dernière scène]


Lorsque Chema et elle, se baladant dans les couloirs de l'hôpital, constatent amèrement que chaque spectateur est scotché au petit écran où une journaliste, jetant avec pudeur le voile de la conscience sur son immoralité malsaine, s'apprête à dévoiler les images de torture, ces images de snuff-movies si réprouvés par la société. Critique d'autant plus appuyée que le personnage de Chema est présenté comme un paria, honni par ses pairs pour sa passion immodérée pour le cinéma violent et les snuff-movies. On finira, comme l’héroïne, par se trouver plus à l'aise dans sa chambre glauque emplie de cranes, affiches sanglantes et torture-porn qu'au sein de la société des gens "normaux", qui dissimule hypocritement cette part de violence et d'obsession morbide.


Tesis nous place donc dans la peau d'Angela, thésarde qui prépare un sujet sur "La violence audiovisuelle" et cherche des vidéos violentes à se mettre sous la dent. Pas qu'elle aime le sang et les tripes, non, mais il faut bien pondre son papelard. La voila donc sur le terrain des snuff-movies, et elle tombe sur un film qui montre la mise à mort -bien réelle- d'une personne. Or la vidéo laisse à penser que les auteurs de ce film pourrait bien être encore à la fac...


Le génie d'Aménabar est d'éluder en premier lieu la violence, sans la montrer de plein fouet, il privilégie un hors-champs qui permet de ne pas tomber dans le gore stupide et violent mais de faire monter la tension constamment. Ainsi, comme Angela on ne verra pas le snuff-movie, entendant juste les cris de la pauvre jeune fille torturée. Un plan sur un écran noir tandis qu'Angela se fige à l'écoute des cris déchirants. Finalement, elle voit le film, elle ose, à peine. Gros plan sur son visage crispé, son dégoût perceptible. Puis elle écarte les doigts, attirée malgré elle, fascinée par cette violence exacerbée.


Tesis est aussi un bon moment de pure tension, le spectateur devenant aussi paranoïaque que la pauvre Angela. Impossible de ne pas s'arracher les cheveux tandis que tour à tour Aménabar nous ballade entre les différents suspects. Le film ébranle si bien nos certitudes que celui dont nous aurions pu jurer l'innocence l'instant d'avant devient en une seconde aussi coupable que les autres. A ce titre, il faut souligner l'excellence du casting, que ce soit Ana Torrent dans le rôle titre, Fele Martínez pour son interprétation du paria dérangé Chema ou bien Eduardo Noriega dans le rôle du jeune éphèbe, aussi magnifique qu'inquiétant.


Si j'ai pu lire de ci de là des critiques sur la mise en scène du film, je ne peux qu'être en désaccord tant le réalisateur maîtrise son sujet, laissant toujours la part-belle à l'imagination du spectateur via l'utilisation de hors-champs intelligents et amenant à des moments de pure tension. Le passage dans le réseau de tunnel plongé dans le noir est à ce titre un monument, pic de stress d'une intensité rare.


Je pense avoir fait le tour, je ne peux que recommander ce film qui est impressionnant de maîtrise, surtout lorsqu'on sait que c'est le premier long métrage d' Alejandro Amenábar. Et je profite de la fin de ce texte pour faire une petite dédicace - je raconte ma vie à la fin maintenant, t'as vu - au couple de jeunes gens qui ont jetés un œil curieux par ma fenêtre vers la fin de Tesis et sont finalement rentrés mater des films, complètement par hasard.
Rencontre aussi inattendue qu'agréable, je suis désolé de vous avoir gâché la fin sans vous avoir montré le début de ce très bon film.

Petitbarbu
9
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Créée

le 12 juin 2015

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Petitbarbu

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