La folie mercantile hollywoodienne ne connaît aucune limite. Symptôme d'une non créativité aussi maladive que dictatoriale, la sortie en grande pompe de The Amazing Spider-Man vient se poser comme un nouvel engrenage dans les entrailles pourrissantes d'une machine commerciale immonde et cynique, laquelle, incapable de la moindre étincelle d'innovation, se goinfre sans vergogne de préquelles, séquelles et autres remakes aussi appauvrissants qu'assassins vis à vis des œuvres originelles. Si l'on a pu se réjouir d'une petite poignée de reboots réussis (Casino Royale, Star Trek, Batman Begins), force est de constater que le désir actuel d'Hollywood de revenir aux origines de (presque) tous ses films cultes est une insulte artistique absolue, d'un didactisme effrayant, d'une prétention scandaleuse et insensée.

Se plaçant haut la main parmi les adaptations Marvel les plus désastreuses, The Amazing Spider-Man vient confirmer la triste tendance. Spectacle sans chair ni âme, sans tempo ni intérêt dramatique, dépouillé de toute identité visuelle, les nouvelles aventures de Peter Parker parviennent en seulement deux heures de supplice audio-visuel à souiller la mémoire des films de Sam Raimi. Exit le héros magnifiquement gauche incarné par Tobey Maguire, exit les thèmes musicaux puissants signés Danny Elfman, exit les chorégraphies aériennes vertigineuses et les combats homériques défiant les lois de la gravité, exit la représentation de New York comme un personnage urbain à part entière... Place à une trivialité et une lourdeur de tous les instants, place à un adolescent banal, rebelle de pacotille (capuche et skateboard en prime...) frappé d'exhibitionnisme identitaire (j'enlève mon masque pour un oui ou pour un non, même en public !), incarné par un Andrew Garfield cabotin (un comble !). Place à un scénario débile et monstrueusement prévisible (torchon écrit à trois mains !) dont les soi-disant zones d'ombre prêtent autant à rire que ses innombrables et insupportables facilités (le méchant découvre notamment la double identité de Spider-Man en lisant « Property of Peter Parker » sur une étiquette collée au dos d'un appareil photo appartenant au jeune homme...). Place à un montage approximatif dopé aux faux raccords, qui pulvérise littéralement par son caractère épileptique la lisibilité des (trop rares) scènes d'action. Viennent s'ajouter à cette piteuse déroute une absence totale de rythme débouchant sur un ennui abyssal et une musique d'accompagnement sans thème marquant (pourtant signée James Horner !), aussi insipide et oubliable qu'une sauce allégée industrielle.

Naufrage filmique d'autant plus déplorable et honteux que son budget s'élève à 215 millions de dollars (mais à quoi tout ce fric a-t-il bien pu servir ?), The Amazing Spider-Man, avec la même fierté arrogante que celle de son héros, vient dégueuler sur nos rétines un déluge infect d'effets spéciaux bâclés (ratage total du Lézard, plus grand-guignolesque que menaçant), doublé de prises de vue subjectives hideuses (lors des déplacements de l'homme araignée) que même les pires créateurs de jeux vidéo pourraient renier. Vendu à tort comme une version plus réaliste et plus humaine que celle de Sam Raimi, cet accablant tour de montagnes russes pour gamins attardés ne parvient jamais à nous toucher, car vidé – justement – de toute substance humaine. Pratiquement dépourvu de gros plans et handicapé par sa direction d'acteurs lamentable, le film nous laisse au seuil de son intrigue.

Dans un mouvement perpétuel de superficialité, tout est survolé, effleuré, aucun registre, aucune tonalité n'étant pleinement assumée : dépouillée de tout sentiment, la mort de l'oncle Ben (poignante chez Raimi) se voit ainsi expédiée, tout comme la transformation et les nouveaux pouvoirs de Peter (trop facilement et rapidement assumés). Ponctuée de gags aussi involontaires que grotesques (les téléphones portables captent à 20 mètres sous la terre, Peter endeuillé faisant mumuse avec l'assassin de son oncle, le Lézard se construisant une station de travail hi-tech en moins d'une nuit...), la réalisation fait montre d'une incompétence exponentielle à mesure que les séquences kitsch s'enchaînent (combats sans coups portés, retournement de veste incongru du méchant...), allant jusqu'à conclure le film par une image improbable héritée de la trivialité des pires nanars ruraux : Peter rapporte à sa tante une boîte d'œufs, qu'il avait oublié de lui acheter quelques scènes plus tôt... Voilà à quoi tient désormais la fameuse responsabilité qui repose sur les épaules d'un super-héros. Mais non content de confondre l'humain avec l'anecdotique, le banal – et c'est là que The Amazing Spider-Man atteint les tréfonds d'une médiocrité présomptueuse – Marc Webb (décidément bien mal nommé) s'octroie le droit extravagant de tutoyer les références du cinéma de genre : Jurassic Park, insulté par une paire de répliques faiblardes, qui plus est totalement uchroniques, ainsi que le plagiat de l'une de ses scènes phares (l'assaut d'une cuisine par des vélociraptors), mais aussi Blade Runner, dont Webb se permet le luxe écœurant de rejouer (sans envergure aucune) la scène légendaire du sauvetage de Harrison Ford par Rutger Hauer. Tenter de jouer dans la cour des grands avec une inconscience répugnante vis-à-vis des modèles, alors que l'on est incapable de donner le moindre souffle à la moindre image animée, en essayant de compenser l'absence de talent par des montagnes de dollars, voilà l'adage, la règle d'or de l'actuel cinéma hollywoodien. Mais qu'attend donc la crise économique pour s'abattre sur les studios américains ?

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le 9 juil. 2012

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