Le cinéma asiatique arrive toujours à me surprendre là où je ne l’attend pas nécessairement, pour tout dire je ne connais pas l’œuvre de Hou Hsiao-Hsien, je n’avais d’ailleurs vu que très peu d’images de ce film depuis sa nomination au Festival de Cannes, mais les rares que j’ai pu entrevoir m’ont plutôt charmé, sans compter que ça fait maintenant plusieurs mois que je me suis pris d’admiration pour les films de sabre. C’est donc avec un certain enthousiasme que j’ai franchis le pas pour me lancer dans ce The Assassin car j’apprécie particulièrement les vraies découvertes, l’excitation de la bonne surprise, qu’un long métrage me chope par le col et me transporte … et ça a été le cas.


Dans la Chine du IXe siècle Nie Yinniang (Shu Qi) une tueuse redoutable au service d’une nonne vengeresse l’ayant initiée aux arts martiaux se voit contrainte d’une mission pernicieuse pour la punir de son compassion : retourner dans son village pour y tuer son cousin Tian Ji’an (Chang Chen) gouverneur de la province de Weibo. Les relations entre cette contrée et la cour impériale s’en retrouve plus que tendue depuis que l’Empereur tente d’y reprendre le contrôle manu militari face à d’incessantes rebellions, c’est dans cet état de crise que Yinniang va devoir opérer, mais la tâche s’annonce davantage compliquée de par la révélation des liens qui l’unissent à Tian Ji’an et à la préservation de la paix dont elle est mandatée via un simple morceau de jade.


Sans y aller par quatre chemins ce qui séduit d’entrée et qui va rester la très grande qualité du film c’est sa photographie, le rendu esthétique est d’une rare beauté, sans conteste une des plus impressionnantes qu’il m’a été donné de voir depuis un bon moment, non seulement c’est très étudié mais il s’en dégage une pureté incroyable, l’éclairage à la bougie, les filtres des rideaux rouges, les plans extérieurs en lumière naturelle, cette brume en arrière plan, c’est juste magique parce que simplement et sans excès Hou Hsiao-Hsien nous transpose dans un univers dont on ressent le souffle. Et ce qui est aussi impressionnant c’est qu’il arrive à rendre par cet écrin une étonnante quiétude à une atmosphère emplie de férocité et de discorde, le fait de placer ce village dans l’immensité du décor, des montagnes infinies aux forêts éternelles, rend l’action intimiste. Car oui The Assassin n’est pas un un film d’action, il ne faut résolument pas s’attendre à de multiples combats ultra rythmés pour épater la galerie, le projet est tout autre pour exprimer une certaine singularité grâce justement à ce retournement des codes, le thème n’est pas la vengeance comme on pourrait le croire mais bel et bien l’absolution.


L’autre charme du film réside dans sa mise en scène, très posée, d’un lancinement inaltérable se mariant admirablement à l’aspect plastique des images, le réalisateur multiplie les plans séquences fixes pour donner une véritable cohérence artistique, c’est toujours très juste et épuré, les acteurs brisent le silence avec une grande sincérité dans leur interprétation, les dialogues sont souvent versés au compte-gouttes, j’imagine que cette lenteur et cette prédominance mutique pourront déranger, parfois ça peut aussi m’ennuyer dans un cas général, mais ici je l’ai trouvé tout simplement belle et pure. Et c’est dans cette tranquillité apparente que Hou Hsiao-Hsien réussit son tour de force en la transcendant par une ambiance sonore soutenant à de nombreux moments une tension assez folle, par exemple avec une simple rythmique continue de tambours avant le premier affrontement entre Yinniang-Tian Ji’an, on sent que quelque chose va se passer, ça dure, jusqu’à ce que les sabres se délient pour claquer dans la nuit et fendre l'air, sans musique, juste mêlés aux chants des grillons, le mot d’ordre est le naturalisme et la simplicité, la puissance sereine.


L’utilisation du cadre trouve aussi l’audace de rendre les combats parfois inédits, en second plan cachés derrière les arbres ou même en semi-hors champ, du reste il me semble qu’il n’y a quasiment aucun champ-contrechamp dans la globalité du film, chose assez rare, tout est rééquilibré par l’impeccable composition picturale. Il y a d’ailleurs une séquence que j’ai vraiment adoré, celle du sortilège, où pour le coup la caméra exerce un léger travelling évasif, appuyé par l’intervention d’une partition musicale également rarissime (donc précieuse), pour accoucher d’un moment absolument magnifique, envoutant et pétrifiant. Le récit n’a en lui même qu’un intérêt subsidiaire, il fait limite parti intégrante du background que peint le réalisateur, pas forcément évident à disséquer et à entièrement en assimiler toute l’ambiguïté mais on fini inévitablement par se laisser emporter grâce à la sensibilité qui s'en dégage. La seule et unique petite fausse note viendrait pour moi du final, que je n’ai pas véritablement trouvé à la hauteur du long métrage, où la coupure semble trop abrupte voire accommodant, mais ce n’est vraiment qu’un infime détail, dont je ne lui imputerai même pas.


The Assassin s’inscrit d’ores et déjà comme une des très grandes réussites de 2016, peut être même LE film à retenir avant tous les autres, le genre de chef d’œuvre doué d’une grandiosité perceptible et sans pareil, ce sentiment de puissance nonchalante totalement maitrisée de bout en bout qui subjugue, cent minutes de perfection esthétique et de grâce ultime, d’une sensibilité narrative subtilement épurée, bref ce dernier Hou Hsiao-Hsien est rempli de qualités. Je pensais d’ailleurs me tourner vers le reste de sa filmographie comme Millenium Mambo mais la barre est ici placée tellement haute que je vais sans doute laisser passer quelques semaines, histoire de me remettre ce bijou.


PS : Gros coup de cœur donc pour le chef opérateur Mark Lee Ping-Bin mais aussi pour les prestations charismatiques de Shu Qi et Chang Chen.

JimBo Lebowski

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