Avec le personnage principal le plus avisé de l'Histoire du Cinéma

Avec ce thriller glacial, enclin à décourager le spectateur et pourtant étrangement grisant, Polanski apporte une noblesse au genre, d'une manière équivalente (en proportions) à celle du Fincher des bons jours. Il rompt avec le conformisme du Pianiste et d'Oliver Twist pour offrir un de ses meilleurs opus des années 2000-2010, à la mise en scène extrêmement sophistiquée et dont l'élégance contraste avec le caractère plus dissipé de Shutter Island de Scorsese (sorti la même année et avec un dispositif comparable, mais en visant ailleurs). C'est aussi un tremplin pour Ewan McGregor, alors en pleine mue et dont la présence relativement insignifiante se découvre une certaine pertinence (c'est le cas la même année dans I love you Philipp Morris).


Polanski trouve dans le roman de Robert Harris un excellent support pour rejouer ses thèmes fétiches ; cette variante met l'accent sur la toute-puissance du cynisme. Ewan McGregor est le 'nègre' dépêché pour rédiger l'autobiographie du premier ministre britannique (reflet politique mais pas caractériel de Tony Blair, incarné par Pierce Brosnan). Il se trouve convié avec l'équipe du gouverneur sur une île en Nouvelle-Angleterre. L'espace et le hors-champ sont remplis de suggestions implacables et de révélations 'cryptées' mais criantes. Une oppression silencieuse est en cours, une absorption du 'nègre' au camp (voir au 'monde') de la corruption s'opère de façon lisse et néanmoins brumeuse et à mesure que son investigation approche son but une tension mortelle se clarifie.


La réalité prend des atours surréalistes (en mode Cul-de-sac) pendant que la certitude du pire s'épanouit (à un degré géopolitique et personnel) ; l'intensité de Rosemary's Baby et le climat mystique empoisonné de La Neuvième porte ne sont pas là, mais la paranoïa est peut-être plus éclatante, absolue et surtout confortée. En effet l'actualité politique est prise pour contexte, le cadre est vraisemblable ; les soupçons ne germent que par la force de l'évidence ou de la logique, non par le trouble ou la fantaisie. Il est d'ailleurs étonnant que le 'ghost writer' campé par Ewan McGregor soit à ce point suspendu au doute et à une retenue extrême. À ce personnage principal peu dégourdi (option originale mais aux résultats mitigés) s'ajoute certains enchaînements dont la praticité se fait quasiment au prix du sérieux.


Cela conduit d'ailleurs à un final se justifiant assez mal (quand McGregor savoure sa victoire et le fait savoir), sauf dans la mesure où il exprime un rapport de force inéquitable où les ressources se déploient de manière occulte. Les habitants de Ghost Writer ne sont pas toujours très bien taillés, leurs actions pas forcément cohérentes, mais le film est tout de même très loin de l'inanité foncière du cinéma de Mireilles. Polanski dénonce ouvertement l'impérialisme américain et le consentement des gouvernements européens. C'est une position assez rare pour un cinéaste de son ampleur. Il la prend au moment où se réveille son affaire de détournement de mineurs, période au terme de laquelle il conçoit un Carnage bien rance.


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le 8 juil. 2015

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Zogarok

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