A priori, 2014 est parvenu à faire fluctuer les visions du futur les plus singulières et dystopiques. Après un magnifique Divergente, et en attendant Hunger Games, The Giver est la nouvelle itération à destination d'un public adolescent, à qui l'on narre combien l'avenir promet d'être particulièrement pounave et surtout, combien ils feront bouger les choses, contrairement à ces cons d'adulte qui se regardent assez souvent le nombril - voire qui cabotinent à mort pour toucher un chèque grâce à une prestation en mode automatique. Donc, a priori, c'est facile de détester un tel produit, d'autant qu'il respire, dès la bande-annonce, le cahier des charges bien respecté. Mais là, je mets un peu la charrue avant les bœufs ! Pire, je ne fournis guère encore d'argument pour vous convaincre, alors plutôt que de tirer à boulet rouge sur le long-métrage, on va déjà armer le canon. Sinon, d'une, c'est gratuit, et de deux, c'est trop facile.

The Giver, c'est d'abord l'histoire d'une nouvelle société particulièrement aliénée où l'on cloisonne l'individu - encore - et l'on choisit pour lui. "Mais pourquoi n'y avais-je pas pensé ?", s'exclame Adlous Huxley. On se le demande. Dans ce monde improbable, on suit Jonas qui, évidemment, est l'archétype de l'adolescent rêveur - mais cool. Il aime regarder les arbres, il aime bien l'herbe (celle sur laquelle on marche, pas celle qu'on fume, vilebrequins !). L'adolescent parfait, donc, qui, en prime, aime ses parents, est curieux de tout, s'occupe de sa soeur, mais bon sang, n'en jetez plus. Forcément, il est différent des autre : lui, parfois, il voit en couleur. On se demande bien comment cela se fait-il qu'il sache que ce n'est pas le cas pour les autres, mais passons, de toute façon, le film ne nous donnera jamais une réponse à cette question. et puis cela fait partie intégrante du stéréotype, laissons faire. Forcément, le garçon se voit donc sélectionné et se voit promis un destin plutôt brillant. Et pour cause : le bougre va le disciple du Dépositaire de la mémoire, rôle ô combien funeste. En effet, dans ce monde, personne ne se souvient de rien, ni de la vie d'avant, ni de ce qui a mené les gens à être tel qu'ils le sont aujourd'hui, à savoir mauvais acteurs. Et surtout plutôt robotique. Du coup, le dépositaire est le seul à savoir techniquement ce qui a mené l'humanité à cette décision extrême et il se doit de tout savoir pour prévenir à un retour en arrière. Il agit comme une sorte de conseiller, ou de rabat-joie, quoi. Jonas va, d'une part, se retrouver libérer de la plupart des contraintes de ses collègues, mais en prime, va parvenir, grâce à un pouvoir surprenant, se souvenir du passé. Et il va changer, mais ça, hein, on s'en doutait.
De base, l'idée est plutôt amusante. Bon, je trouve le traitement d'emblée plutôt simpliste (les gens qui prennent des médocs pour ne plus se souvenir et le mec qui se souvient de tout, mis au ban de la société, agissant comme un conseiller un peu croque-mitaine). Le problème, c'est que jamais la situation n'est réellement creusée. Assez rapidement, même, on sent que ce n'est qu'un prétexte confus pour que le héros tente de se rebeller. Du coup, une fois qu'il apprend son rôle et commence à découvrir le passé, le héros se met à agir en véritable relou face à l'éveil. Tout ce qui était proscrit, il commence à le faire relativement librement, comme toujours, attirant forcément suspicion et mépris - et bientôt, l'intérêt de plus en plus privilégié des hautes instances. Bravo, au lieu de rester pénard sous le radar. D'autant qu'il y a des caméras partout. Et qu'il doit bien le savoir : il a vécu là toute sa putain de vie. Bref, c'est horriblement téléphoné et le héros va forcément se décider à "sauver le monde", même si cela n'a déjà plus grand but, puisque techniquement, le monde est déjà sauvé. Et il doit juste se souvenir du pourquoi. Mais ça, on n'abordera jamais la question, ô que non.
Et c'est bien con, parce qu'en réalité, ce qui aurait fait le sel de ce principe, ça aurait été de savoir le pourquoi de la situation présente et de mettre le personnage principal devant le choix moral de décider si oui ou non, cette procédure, cette humanité raréfiée, est légitime. Mais non, le métrage, assez vite, part du principe qu'il s'adresse à des adolescents et que l'adolescent n'est là que pour la romance, qu'il agence alors de façon assez téléphoné, comme par hasard. La nana se découvre des sentiments sans jamais flipper un instant, elle accepte d'emblée tout ce que lui dit son pote. Résultats, assez vite, elle devient le centre d'une sous-intrigue qui vient remplacer toute espoir d'avoir un discours intelligent sur la compromission sur les libertés en temps de crise. Tout ça, ça disparaît aussi vite que c'est vaguement effleuré durant l'apprentissage du héros. D'ailleurs, l'apprentissage du héros est d'une vacuité sans borne, à base de "la vérité n'est pas ce que tu crois" et autres joyeusetés. Pas un livre n'est lu, pas un philosophe abordé. Jeff Bridges ne doit pas vraiment avoir son CAPES, en fait...
Donc, à la place d'une explication par le menu des raisons qui ont amené l'humanité à se robotiser lentement, on se retrouve plutôt avec un Jeff Bridges oscillant entre son rôle dans Tron : Legacy et Obiwan Kenobi sous prozac. On aperçoit dix minutes Taylor Swift qui parvient à faire du Taylor Swift sans modération, dit coucou et prend son chèque. Même Meryl Streep - Meryl fucking Streep - assure le minimum syndical, essayant visiblement de coller le plus possible au jeu dérisoire de Kate Winslet dans Divergente. D'ailleurs, elle s'en sort si bien que finalement, on a l'impression de trouver une copie-carbone de Divergente, avec le même discours très convenu sur la capacité des adolescents à sauver le monde - et sur la capacité des adultes à être complètement bouche-trou. Oh, je n'ai rien contre l'adolescence, seulement, quand on l'instrumentalise, qu'on la baise, la fout sur pellicule et vend ça, ça me paraît plus cynique qu'autre chose. Le film se retrouve d'ailleurs à faire usage d'une ficelle presque magique, permettant au héros de rendre leurs souvenirs à tout le monde sans que l'on sache bien comment il s'y est pris et pourquoi cela a fonctionné. Tiens, la résolution fantôme, en plein dans ton élan passionné !

Au final, ce n'est ni bon, ni foncièrement mauvais et la note cinglante ne retranscrit que mon mépris pour ce genre de production très terre à terre qui utilise le principe efficace de la dystopie pour vendre encore et toujours la même soupe surannée, sous principe que les adolescents n'y verront que du feu, tout enthousiaste à l'idée de pouvoir découvrir un nouveau blockbuster qui leur est tout droit offert, le tout dans un effarant cynisme. D'ailleurs, il me semble que ça s'est méchamment vautré. Bien fait. Désolé aux gens qui ont lu le roman et l'ont aimé, j'essaierai peut-être un jour, mais n'allez pas voir ce film, surtout. Un petit big-up quand même à deux acteurs que j'aime bien, Alexander Skargard d'un côté et Katie Holmes de l'autre. Va falloir réfléchir à de meilleur choix de carrière, les enfants !
0eil
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le 29 nov. 2014

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