Les dieux du cinéma ont donné le pouvoir de la sublimation à une élite de cinéaste. De Murnau à Nicolas Winding Refn, en passant par Leone et Malick, ces élus se sont vus offrir cette fabuleuse capacité de rendre somptueux chaque sujet abordé. Parmi eux Wong Kar-Wai constituerait presque l'élu suprême tant le pouvoir de fascination qui habite ses œuvres apparaît inégalable. Depuis ses débuts et As tear goes by (1988), le hongkongais n'a cessé de travailler une esthétique particulièrement étonnante qui trouvera son point d'orgue dans les très déroutantes Cendres du Temps (1994). Ralentis saccadés, flous étranges, tout concourt à démarquer le cinéaste de ses paires qui eux ne jurent que par la totale perfection picturale finalement assez classique. Cela surprend mais permet à l'homme aux éternelles lunettes noires de faire passer les émotions différemment. Redoutable pour les moins initiés, son cinéma, dès lors que l'on en a acquis les bases, apparaît très vite comme un V12 à émotion tournant à plein régime.


The Grandmaster n'est donc pas le film de kung-fu basique que la promotion s'acharnait à vendre. WKW disait rêver de mettre en scène un vrai film du genre depuis toujours mais c'était déjà certain qu'il laisserait des spectateurs sur le carreau. En prenant appui sur le fameux Ip Man, connu chez nous comme celui qui forma Bruce Lee, et la belle Gong Er, c'est plutôt un long-métrage sur la Chine et la naissance de Hong-Kong qu'il nous sert. Les quelques combats qui habitent l'œuvre ne sont indéniablement pas présents pour le divertissement mais bien comme les étapes d'une construction, créant des rapports entre combattants qui auront des conséquences tout au long de l'histoire. A noter l'extrême stylisation des affrontements (chorégraphiés par le maître Yuen Woo-Ping, déjà à l'œuvre sur la trilogie Matrix ou les deux Kill Bill) à grands coups de ralentis étendus, d'éclats de neige, de murs ébranlés, de gros plans sur les mains ou les visages. C'est d'une beauté à se damner. Toutefois si la photographie et le cadrage nous arrachent des décrochages de mâchoire tant c'est somptueux, on regrettera de vrais défauts inhérents à la caméra et ses opérateurs tels que du grain assez visible en basse lumière et surtout de curieuses pertes de point sur les visages. Choses que l'on pouvait accepter en 1994 dans Chungking Express mais en 2013 c'est plutôt déconvenu.


Rien d'alarmant cependant. Ne serait-ce qu'offrir à nos petits yeux la vue de la merveilleuse Zhang Ziyi pourrait faire passer n'importe quel défaut technique. La dualité de son personnage et la douceur de ses traits apportent tellement au film qu'Ip Man pourrait presque être absent. Mais ce serait oublier toute la grandeur du magnifique Tony Leung dont le visage possède cette faculté de tout transmettre. Ils forment à eux deux une sorte de romance impossible, perdue dans les limbes d'un pays détruit par les rivalités et l'invasion du Japon. Dans un sens, WKW a plutôt fait un film de kung-fu où ce sont les cœurs qui s'affrontent et non les armes.

Aymic
7
Écrit par

Créée

le 30 avr. 2015

Critique lue 265 fois

2 j'aime

1 commentaire

Aymic

Écrit par

Critique lue 265 fois

2
1

D'autres avis sur The Grandmaster

The Grandmaster
real_folk_blues
3

Wong Kar, why ?

Je ne saurai me montrer plus éloquent que notre bon vieux @Senscritchaiev pour exprimer à quel point le dernier WKW fut une déception. Il semblerait que la fraicheur du réalisateur de Chungking...

le 25 avr. 2013

70 j'aime

32

The Grandmaster
drélium
5

Critique de The Grandmaster par drélium

Bon d'accord, c'est mauvais. Mais rappelons tout de même que "Les Cendres du temps" en 94 était aussi chiant pour beaucoup de monde alors qu'il était aussi martial et romantique et que même en 90,...

le 28 avr. 2013

53 j'aime

31

The Grandmaster
guyness
3

Il bâtit sa légende sur son adresse, Ip

Il existe des spectateurs allergiques au ralenti qui sont capables de rejeter un film pour 10 secondes de slow-motion malheureux. Comment pourraient-ils survivre à un film qui ne présente que 10...

le 5 sept. 2013

47 j'aime

28

Du même critique

Late Phases
Aymic
7

The New Howling

Late Phases a tout du petit miracle. Un film sur la lycanthropie de ce calibre-là était inattendu en 2015. Au regard de la production fantastico-horrifique actuelle, le métrage se pose comme une...

le 14 mai 2015

5 j'aime

Birdman
Aymic
8

Et Inarritu s'envola...

Qu'Inarritu est grand ! Après la prodigieuse triplette Amours Chiennes/21 Grammes/Babel ayant assis son talent et sa réputation, le mexicain nous avait sorti un opus mineur (Biutiful) peu enclin à...

le 23 mars 2015

5 j'aime

Friedkin connection
Aymic
7

Indispensable

Impossible de faire l'impasse sur le cinéma de William Friedkin. Avec des oeuvres aussi diverses et marquantes que French Connection, L'Exorciste, Le Convoi de la Peur, etc jusqu'au tétanisant Killer...

le 16 mars 2015

5 j'aime