Inutile de revenir sur la superbe esthétique de The Lighthouse, vous l'aurez lu ici et là, et c'est bien mérité parce que c'est absolument vrai. Le design sonore est à ce niveau également remarquable dès les premiers instants du film : Le bruit de la corne de brume est assourdissant, à l'image du traitement de la peur dans le long métrage. La matière est particulièrement travaillée dans The Lighthouse (la pierre, le bois, la terre...) et celui-ci n'hésitera pas à nous montrer les personnages en train d'uriner, de vomir, de se masturber, de renifler. Il démystifie ses personnages a priori caricaturaux et les circonscrit en même temps dans un certain environnement poisseux, âcre et clos.


Robert Eggers maîtrise d'ailleurs totalement les références fantastiques et horrifiques dans laquelle s'inscrit son oeuvre. Le personnage du génial Willem Dafoe en est le parfait exemple, il est l'incarnation même de la représentation dans l'imaginaire collectif du vieux marin barbu fumant sa pipe et venant d'un autre siècle. Je ne sais pas si Dafoe a déjà joué un tel personnage, mais c'était d'une telle évidence pourtant, sa gueule sied à merveille à celui-ci. Ainsi, Eggers ne se gêne pas pour utiliser un certain folklore ou bien la mythologie (l'introduction d'une sirène dans le film en est le parfait exemple).


Le film me paraît même volontairement utiliser une certaine forme de second degré, en cela The Lighthouse sait très bien où il nous emmène de bout en bout.



On dirait une putain de parodie !



Voilà ce que dit littéralement le personnage de Pattinson vers la fin du film. Oui M. Eggers, nous nous comprenons !


Pourtant, malgré la prévisibilité du film du fait de son utilisation des codes du genre, il arrive à nous surprendre de manière très positive en se concentrant énormément sur son binôme. En effet, ses deux personnages arrivent dès la première scène sur ce rocher perdu au milieu des mers et nous ne connaissons alors rien d'eux : leur passé va devenir un enjeu fondamental du récit et Eggers jouera avec le mystère qui entoure celui-ci. Le film appuie énormément sur la relation entre ses deux personnages, ce qui est assez surprenant, l'horreur-fantastique passe même parfois au second plan, et ce n'est pas forcément un mal au regard de la prestation incroyable que nous servent ce duo d'acteurs absolument formidable (il est parfois bon d'enfoncer des portes grandes ouvertes...). Ça s'engueule, ça se découvre, ça se méfie, ça se révèle ses grands secrets, ça chante en chœur autour d'une boisson qui nous paraît imbuvable... ce duo est très attachant.


The Lighthouse ne se gêne aucunement pour passer d'un moment horrifique à un moment de camaraderie entre les personnages puis à un moment de dispute, le film est de manière étonnante très drôle, il tombe parfois dans une forme de grotesque qui me paraît absolument maîtrisée, on en revient au second degré du film qui me paraît en ce sens formidable : Eggers sait très bien ce qu'il fait, il nous le fait savoir, et il nous surprend de la même façon. Ainsi le monologue de Dafoe vers la fin du film qui semble être tout tout droit sortie du Mythe de Cthulhu est un plaisir absolu à écouter en tant qu'amateur de fantastique et l'avant dernière scène du film est un plaisir en tant qu'amateur de l'indicible.


Pourtant, The Lighthouse est aussi surprenant en ce qu'il se concentre également beaucoup sur la psychologie de ses personnages, la peur et le mystère viennent aussi largement d'eux, l'alcool et les visions ne venant pas éclaircir les choses. Cette indécision, ce bottage en touche que semble nous proposer le film en matière de pur scénario lui sera certainement reproché par certains. Personnellement, je trouve ça en accord parfait avec ce que j'ai déjà pu dire sur le côté second degré du film qui a parfaitement conscience de ce qu'il propose : inutile de nous sortir un Cthulhu du fond des mers ou d’affirmer clairement qu'un des personnages se joue de l'autre, le fantastique et la peur n'ont nullement besoin d'explications, nous ne sommes pas ici face à un thriller psychologique non plus, c'est une oeuvre hybride qui se joue de sa proposition a priori très codifiée. Cela ne veut pas dire que The Lighthouse ne se prend jamais au sérieux et qu'il désarme toutes ses situations par des blagues à base de pets, bien loin de là. C'est une oeuvre fascinante, un petit coup de maître déjà supérieur à un The Witch qui était déjà tout bonnement génial.


Tout comme son confrère Ari Aster l'a fait cette année, Robert Eggers confirme l'essai et devient un réalisateur de cinéma de genre à suivre absolument. Merci à eux et à A24 d'apporter un renouveau passionnant de ce cinéma particulier qu’est l’horreur-fantastique.

Seingalt
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le 18 déc. 2019

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