Comme toutes les productions distribuées par A24, "The Lighthouse" est une vraie expérience visuelle (Je me souviens du très beau "A Ghost Story"), mais une expérience qui n'a toutefois pas été à la mesure de ce que j'en attendais. Un phare, personnage sous-exploité selon moi, et une sirène-poupée gonflable. Le mystère et la fantasmagorie annoncés dans la première demi-heure se dégonflent. J'aime tellement les contes de vieux marins et les légendes de sirènes. "À Bacharach, il y avait une sorcière blonde qui laissait mourir d’amour tous les hommes à la ronde."... Bon, bref. Un peu long, un peu lourd, noyé sous les références mythologiques, littéraires et cinématographiques, mais pas non plus raté. Il y avait du potentiel, je suis un peu déçue...déçue parce qu'il y a au départ un fantastique bien installé, ce surgissement de l'étrange dans l'ordinaire par de petits détails ; déçue parce qu'il y a surtout l'image superbe de Jarin Blaschke, son format, la péloche, le grain, ce noir et blanc si particulier, qui contribuent au huis clos sur un rocher battu par la tempête. Enfermer le phare érectile dans un carré étouffant, il y a de quoi devenir fou...déçue parce qu'il y a les monstrueux (au sens propre ) Willem Dafoe et Robert Pattinson : Dafoe en vieux loup de mer tyrannique a la gueule du Neptune de Giambologna ; Pattinson est encore une fois très surprenant, à vouloir s'effacer dans la performance. Leur tête-à-tête, amoureux sadiquement jusqu'au naufrage de la raison, promettait. Déçue parce qu'une île mystérieuse, parce qu'un phare dans les ténèbres, parce que deux hommes seuls au monde, parce que le grondement de la mer tout autour, parce que les nuées d'oiseaux, parce que la solitude hallucinée, érotique, séminale, fatale, parce que tout l'imaginaire que cela aurait pu déplier. Mais l'angoisse n'arrive pas à s'imposer vraiment, la fantasmagorie s'appauvrit à mesure que les scènes poussives se répètent, que le phare se décale et que sa lumière, convoitée par les deux hommes, ne nous accapare pas et reste inaccessible. Trop de références tuent la référence. Le choix (intéressant) de l'esthétique expressionniste allemande (Eggers avait le projet d'un remake du "Nosferatu" de Murnau) entre en conflit avec cet autre choix (intéressant) d'une certaine emphase à la Shelley et du romantisme anglais dans le traitement des dialogues ("Ce besoin des marins de toujours faire des phrases", comme dirait mon ami Jean-Louis). Et puis, le mythe de Prométhée...Pattinson, en Christ décavé sur son rocher, becqueté par les mouettes en plan final.... Tiens, j'ai pensé à la Médée de Lars von Trier à ce moment-là. Il y avait un vrai potentiel. Peut-être que sombrer dans la folie ne se laisse pas facilement filmer. Je pense aux sirènes d'Ulysse. A "The Hours" de Daldry. Et puis, rien à voir, à cet incroyable moment intime à bord de l'Orca, dans le "Jaws" de Spielberg, quand Quint raconte l'insondable vide de l'oeil du requin...oui, un peu déçue. A voir quand même.

Sabine_Kotzu
5
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le 9 avr. 2020

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Sabine_Kotzu

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