The Lost City of Z prolonge les motifs du cinéma de James Gray en lui faisant gagner une ampleur folle. Attention, grand film !



Incontestablement l’un des réalisateurs les plus doués de sa génération, James Gray est malheureusement bien trop rare. Depuis Little Odessa, sorti en 1995 chez nous, sa filmographie se résume à cinq films. Son sixième, THE LOST CITY OF Z, marque un nouveau virage dans son travail. Déjà, avec l’enchaînement Two Lovers/The Immigrant, le réalisateur de 47 ans avait su faire évoluer les motifs de son cinéma en délaissant les films de genres pour affronter l’exercice du mélodrame frontalement. Jusque-là, ses intrigues policières étaient des toiles de fond lui permettant d’aborder des sujets plus intimes (le destin, accepter d’être qui on veut, le poids de l’environnement familial et de sa classe sociale) voir carrément d’exposer sur grand écran des éléments autobiographiques (on sait, par exemple, que le couple de parents dans Little Odessa est totalement inspiré des siens). Comme The Immigrant marquait l’arrivée du premier personnage principal féminin dans la filmographie de James Gray, THE LOST CITY OF Z vient lui aussi apporter un renouveau puisque pour la première fois son cinéma s’éloigne des contrées new-yorkaises pour s’élancer au cœur de la jungle. La démarche fait office de petit événement, avec la promesse de voir un film d’aventures ample.Dans l’indispensable livre Interview with James Gray de Jordan Mintzer, le metteur en scène américain déclarait “je ne m’intéresse pas du tout aux éléments typiques des films de genre s’ils ne servent pas une fonction plus haute, qui incarne une vérité plus haute“, ce qui offre d’emblée une clé pour appréhender son nouveau long-métrage. THE LOST CITY OF Z prend les apparats d’un récit d’aventure pour mieux se rapprocher de toutes les obsessions du cinéma gray-ien – des hommes piégés par leur condition et leur destin, qui se débattent pour espérer exister. Il a toujours été question de cet emprisonnement depuis Little Odessa. Chaque tentative de s’en extirper était sans cesse un échec, la puissance d’une force quasi-divine les ramenait à leur place définie, en les détruisant de l’intérieur par la même occasion. Le colonel Fawcett (Charlie Hunnam), en quête de reconnaissance de la part de ses pairs, se lance dans une expédition pour laver son nom autrefois sali par les actes de son père. On voit se dessiner dès la mise en place de l’intrigue le modus operandi cher à Gray, où les enfants subissent le poids de l’imposante figure patriarcale malgré eux. Véritable film sur la filiation, THE LOST CITY OF Z enraille le tragique amer des précédentes œuvres de James Gray pour ouvrir au sein de sa filmographie une porte de sortie non-dénuée de gravité et pourtant emplie d’une douce sérénité.



« The Lost City of Z appartient à la majestueuse race des grands films hantés »



Rappelons-nous du plan final de The Immigrant, où Ewa réussissait à s’extirper de sa condition afin de voguer physiquement vers un futur plus serein. La porte de sortie, ici, est mentale : la conviction. Puisque la société et ses institutions ne peuvent permettre à Fawcett d’atteindre une plénitude existentielle, il décide de tracer sa propre route loin des autres, mais proche de ses croyances. La cité de Z existe-t-elle ? Impossible de le savoir. Et le film enclenche de multiples tentatives pour livrer une réponse sans aboutir à aucun résultat concret. Le canevas de base est un leurre utilisé avec malice par James Gray. On croit longtemps que le film va nous décevoir dans son absence de dérive, plaquant juste des obsessions connues sur un genre inexploité. Le programme semble trop propre, trop conforme aux attentes de l’édifice gray-ien. Le dernier acte permet au long-métrage de gagner en substance, démarrant un second mouvement généalogique, cette fois entre Fawcett et son fils. Ce qui est beau, c’est que le film met en scène la rupture entre ses deux personnages dans un premier temps, créant illusoirement un double effet destructeur – Fawcett en conflit avec son père, le devient à son tour avec son propre fils, inéluctablement. Puis, pour la première fois en six films, un père et sa progéniture arrivent à marcher dans un sens commun. C’est un renouveau dont nous sommes témoins, d’une mutation de toute une logique thématique et scénaristique travaillée depuis toujours. James Gray est un auteur, construisant brique par brique une œuvre totale dont THE LOST CITY OF Z fait office de tournant majeur.“Le but n’est pas seulement le but. Mais le chemin qui y conduit.” disait le sage Lao Tseu. Cette expression est une parfaite traduction de la quête de Fawcett, où les contours géographiques et politiques deviennent obsolètes face à la puissance de ses pulsions intérieures. Chaque nouveau voyage dans cet enfer vert est une manière d’affirmer davantage son désir d’être. Sublimée par la prodigieuse lumière de Darius Khondji, la forêt est un lieu où les obsessions personnelles jaillissent, comme si l’agencement des arbres formait un écran sur lequel projeter des questionnements métaphysiques. La finalité n’est absolument pas d’atteindre la mystérieuse cité mais plutôt, ce que l’on tire du voyage au plus profond de soi. En ce sens, la dernière expédition en duo est d’un bouleversant apaisement en dépit de la portée tragique des événements et fait entrer de manière inédite une dimension mystique dans le travail de James Gray. Loin des blocs new-yorkais, son cinéma se nappe d’une fantasmagorie jamais vue. Les hommes courent à leur perte, quoi qu’il arrive leurs rêves auront raison d’eux.


Alors il reste les femmes. Sienna Miller incarne une épouse laissée à quai (un rôle similaire à celui qu’elle avait dans American Sniper), obligée de subir les va-et-vient de la figure masculine. Reléguée longtemps au second plan, le plan final lui offre une digne porte d’entrée dans un monde dont elle était bannie. Le magnifique geste de Gray à cet instant est de ne pas faire de la femme une laissée-pour-compte (ce qui fut souvent le cas par le passé), mais de l’inclure dans un processus d’altération mentale initiée par son époux, adhérente à son tour à une mécanique de Foi filtrant avec la folie. Une Foi proche de celle de Gray envers un cinéma classique élégant et subtil, fait avec un aplomb de maître, en toute quiétude. Le long-métrage s’affranchit des conventions, des modes et d’un cahier des charges inhérent au genre. À chaque plan, le spectateur a cette impression satisfaisante d’assister à du cinéma avec un C majuscule. Celui qu’on ne fait plus de la sorte. Intemporel plus qu’anachronique, THE LOST CITY OF Z appartient à la majestueuse race des grands films hantés.


Par Maxime, pour Le Blog du Cinéma

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le 31 mars 2017

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