Il existe des limites à l'utilisation systématique de références et de comparaisons dans l'exercice de la critique, et plus généralement de l'argumentation. A l'avant-première, en la présence de Nicolas Winding Refn, ce dernier a balayé la question de ses influences, comme si elle était dénuée de pertinence. Je persiste pourtant à croire que la comparaison a souvent beaucoup à apporter. Têtu comme une mule, on va précisément se limiter à cela le temps de cette critique.


La comparaison avec Dario Argento fait mal. C'est la première qui vient à l'esprit : formellement, déjà, avec la bi-coloration bleu/rouge omniprésente. Dans le contenu, ensuite, avec la thématique de la sorcellerie, au cœur notamment de la trilogie des Enfers d'un des deux maîtres du Giallo. Prenons le cas de Suspiria, son chef-d’œuvre. Une belle jeune fille, Jessica Harper, intègre une académie de danse, un monde majoritairement féminin. Le scénario n'est pas très poussé ; tout l'intérêt consiste en une montée progressive dans l'inquiétude, émaillée par plusieurs épisodes hautement troublants, débouchant sur une phase d'action de type slasher et horrifique, qui a la bonne idée de prendre son temps. L'équivalent, dans The Neon Demon, serait le passage au cours duquel Elle Fanning se fait courser par trois meufs avant de finir éclatée au fond de la piscine. La scène est expédiée en trois minutes montre en main, là où Suspiria bâtit tout son film dessus. La bi-coloration, l'atmosphère féminin étouffant, les relents de sorcellerie : tout est cohérent et progressif dans l'un, tout semble gratuit et expédié dans l'autre. En somme, cette comparaison a le mérite d'interroger la façon dont NWR a construit son film et justifié ces choix, face à celle, implacable, de Suspiria.


La comparaison avec David Lynch fait mal. On peut notamment se tourner vers la trilogie Hollywoodienne de ce dernier, ne serait-ce en qu'en ce que The Neon Demon se déroule également à Los Angeles. Mais surtout, tous manient une narration hypnotique utilisant notamment des passages onirico-hallucinatoires afin de déployer différents niveaux de réalité et de semer le trouble autant du point de vue de la structure narrative que du sens à extraire de chaque scène. Seulement, n'est pas David Lynch qui veut : là où, par exemple, Mullholand Drive bâtit dans une complexité d’orfèvre et une étrangeté diabolique la dualité de la personnalité de Naomi Watts, les passages équivalents de The Neon Demon -Elle Fanning qui avale un couteau, Elle Fanning qui embrasse son reflet, Elle Fanning qui se vide de son sang- apparaissent beaucoup moins subtils et moins justifiés. En somme, cette comparaison a le mérite d'interroger la façon dont le film, se voulant cryptique, utilise un procédé qui ressemble plus à une injection artificielle de sens qu'à autre chose. Et puis, est il utile de préciser à quel point la galerie de personnages féminins offerte dans Twin Peaks, véritable ballet de muses et de déesses, est sans commune mesure avec celle que le vulgaire NWR tente piteusement de rendre sensuelle et envoutante?


La comparaison avec la filmographie de Nicolas Winding Refn fait mal. On a pu voir à de nombreuses reprises être posée la question de savoir comment on est passé de la trilogie Pusher à The Neon Demon, en mettant en évidence le tournant qu'a constitué Drive et la continuité qu'entretient le film avec Only God Forgives. D'une part, je trouve que ces derniers rapprochements n'ont pas lieu d'être, Drive et Only God Forgives étant à mes yeux excellents, et Ryan Gosling n'ayant rien d'Elle Fanning, comme j'ai pu l'entendre de la bouche même de NWR. Ces deux films combinaient un cadre narratif séduisant, des personnages secondaires denses, un fil rouge crédible et une pure action coup-de-poing, autant d'éléments qui manquent à The Neon Demon. D'autre part, l'origine du film remonterait plutôt à Valhalla Rising, dans lequel NWR a pleinement embrassé le contemplatif, lui mêlant violence et mysticisme. Avec The Neon Demon, NWR tombe dans la caricature de cette recette à succès en ce que tout y est effroyablement lent, toutes les rares répliques sont espacées de plusieurs secondes de blanc à faire décocher de violents facepalms. Si tout est flottant et éthéré, plus rien ne l'est : le film souffre d'un gros problème de rythme. Plus globalement, c'est le thème du film qui constitue un mauvais choix : en se focalisant sur la beauté et la beauté seule, c'est le traitement du film qui en devient fatalement lisse, creux et vain. En somme, cette comparaison a le mérite de faire de The Neon Demon le premier véritable faux pas du réalisateur.


Enfin, la comparaison avec le genre musical de la synthwave... est salvatrice. Oui, l'OST de Cliff Martinez est grandiose, nous abreuvant de ces nappes de synthétiseurs glacés dans une véritable transe auditive. C'est sans exagération qu'on peut affirmer qu'elle évite au film une bien pire déconvenue, en oubliant la faute de goût du générique de fin signé Sia. En effet, c'est bien de synthwave dont il est question alors que, musicalement, on se situe quelque part entre un Vangelis atmosphérique et les pulsations nerveuses d'un Magna. Alors que, en termes d'apparence et de symbolique, The Neon Demon emprunte beaucoup des codes visuels de ce genre musical, tandis que s'y succèdent néons, voiture de sport, pin-up et gros félidé dans le même esprit eighties qu'avait amorcé Drive. En somme, cette comparaison a l'avantage de remettre le film à sa juste place : celle d'une série de clips bien montés, pas désagréables à regarder, vaguement subversifs, tout entièrement dédiés au service d'un Cliff Martinez véritablement inspiré.

DoubleRaimbault
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le 7 juin 2016

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