Spoilers possibles.


Dixième long-métrage de Nicolas Winding Refn, The Neon Demon est sans doute le film de la maturité pour le réalisateur danois.
Du moins, ce serait comme cela que ma critique aurait commencé si ma connaissance de la filmographie du bonhomme me le permettait. Mais, n'ayant vu que Drive – un très beau film, quoiqu'à mon sens largement surestimé tant il n'invente pas grand-chose, sorti de l'esthétique pure – et Valhalla Rising – très beau aussi, mais idéal pour dormir – et ayant raté la trilogie Pusher qui m'a l'air d'être un gros morceau, je ne peux m'avancer à ce point. Pour autant, Ze Néon Démon (pour citer la délicieuse prononciation de la voix d'annonce des prochaines sorties des cinémas Gaumont) est largement plus riche que ceux cités plus haut, plus complet, maîtrisé, et surtout plus fourni en contenu.


Avec le Suspiria de Dario Argento dans le rétroviseur (pour l'incroyable jeu avec les lumières et les couleurs), et des accents lynchiens plein la boîte à gants, NWR conduit du début à la fin son film avec maîtrise et le "millimètrisme" des cadres qu'on lui connaît. Si l'immersion peut être un peu lente, The Neon Demon explose et expose peu à peu tout son potentiel, jusqu'à l’apothéose du dernier acte, jouissif de macabre et de tension. Car si on l'a un peu vite catalogué film d'horreur sans qu'il en ait les airs, ce long-métrage se joue en fait des codes du genre horrifique en les détournant : point de jump scares ici, juste de la peur viscérale, peur du malsain, peur du glauque, peur du vide et de l'aseptisé. Tout juste NWR emprunte-t-il franchement les codes du slasher le temps d'une scène – la meilleure, peut-être.
De fait, le message est clair : ne cherchez pas l'horreur dans les recoins, ou tapie dans l'ombre, car elle est devant vos yeux, elle prend tout le cadre, toute l'image.


Elle Fanning, sublime – dont la jeune carrière commence à en faire pâlir plus d'un(e), passée par Inarritu, Fincher, Coppola, Abrams – est Jesse, la Beauté incarnée, parfaite : jeune, naturelle, parfaite et pas refaite pour un sou. Le monde de la mode, dans toute sa froideur et sa superficialité, va s'arracher ce seul et unique rayon de soleil d'un film à l'ambiance surgelée, et les autres filles vont s'avérer prête à tout pour accéder à cette beauté idéale. De la frustration de la maquilleuse, à la fois jalouse et attirée sexuellement par Jesse, qui ira jusqu'à la nécrophilie pour trouver un faux palliatif à sa névrose, en passant par les deux autres filles, prêtent à la dévorer toute crue - littéralement – la cruelle absurdité de ce monde est d'autant plus affreuse qu'elle semble paradoxalement vraie (alors même que la quête de réalisme n'est pas franchement le souci du réalisateur) et nous renvoie à notre propre rapport à la beauté, notre beauté, celle des autres. De ce point de vue là, le film réussit de toute façon à être une petite claque.


Pour une fois, l'ultra-symbolisme et l'obsession de la forme de Winding Refn ne se traduit pas, semble-t-il, par une perte de sens ou une sensation de coquille vide (une coquille magnifique, certes, mais tout de même...). The Neon Demon nous parle à travers ses métaphores visuelles, et déroule son propos avec aisance et une certaine clareté.
La beauté fait flipper après ce film, trop de perfection, trop de beau tout simplement. On aimerait presque de la laideur ou de l'imperfection, comme on rechercherait une bouffée d'air frais. De quoi faire réfléchir...

Cyprien_Caddeo
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le 8 juin 2016

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