The Room
3.5
The Room

Film de Tommy Wiseau (2003)

Si Citizen Kane (Orson Welles, 1941) est souvent considéré comme étant le meilleur film de tous les temps, il est communément admis que The Room est son opposé. Champion de tous les nanars, accumulant la plupart des défauts qu’un film puisse avoir, The Room est avant tout l’œuvre d’un homme : Tommy Wiseau. Producteur, réalisateur, scénariste, acteur principal, il aurait probablement fait les costumes s’il avait su coudre. Personnage atypique, il raconte entre autres avoir réuni la somme nécessaire pour produire son film en commercialisant des vestes en cuir importées de Corée. Cela ajouté à son omniprésence dans la construction de The Room traduit l’engagement total dans ce qu’il voulait voir devenir le meilleur drame de l’histoire du cinéma américain.


Mais d’abord qu’est-ce qu’un nanar ? Un nanar est un film qui, alors même qu’il a été tourné avec le plus grand des sérieux, se trouve être si mauvais qu’il en devient drôle. Il faut bien distinguer le nanar du navet qui n’est que mauvais et pas très amusant à l’instar de la Saga des tomates tueuses de John De Bello dont le second volet, sorti en 1988, compte le jeune George Clooney dans son casting. Il existe également des nanars volontaires, comme la série des Sharknado sortie entre 2013 et 2017, qui table sur la mauvaise utilisation des codes du cinéma pour rire avec le public d’une œuvre délibérément ratée.


Mais The Room est un nanar véritable, dans tous ses aspects, depuis l’histoire de son réalisateur et de la réalisation du film, jusque dans ses moindres détails. Les dialogues, le cadrage, le montage, la qualité des acteurs… Il s’inscrit dans la légende comme le film qu’il faut voir pour comprendre ce qu’’il ne faut PAS faire pour réaliser un bon film.


Tout ce qui concerne le making off de The Room est si improbable, si insensé que Greg Sestero (ami de Tommy Wiseau et interprète de Mark dans le film) en a écrit un livre de presque 300 pages appelé The Disaster Artist pour raconter son expérience hors du commun. Il y dévoile entre autres les décisions aberrantes de Tommy Wiseau sur la réalisation ou encore la nécessité de tourner les mêmes scènes des dizaines de fois car Wiseau lui-même était incapable de se souvenir de ses lignes ou de se positionner correctement. Tout cela ayant fait grimper le coût du film jusqu’à 6 millions de dollar et la durée du tournage à plus de 7 mois. Une adaptation de ce livre par James Franco est d’ailleurs à découvrir bientôt au cinéma.


Le scénario, à la fois simple et simpliste, en partie autobiographique, raconte l’histoire de Johnny (Tommy Wiseau), un employé de banque apprécié de tout le monde, et de sa future femme Lisa (Juliette Danielle), une manipulatrice sans état d’âme qui va le tromper avec son meilleur ami Mark (Greg Sestero). C’est tout. Le reste du film n’est constitué que de sous-intrigues rarement introduites et souvent sans suite qui donnent l’impression de voir s’intercaler des tranches de vie sans queue ni tête sur un scénario qui tourne en rond.


Pour rentrer un peu plus dans le détail, un film se construit sur une intrigue qui se développe au fur et à mesure des scènes dans un déroulement fluide et logique. Chaque scène introduisant un élément utile au développement ou une réponse permettant la résolution progressive de l’intrigue. Ici, le chaos règne, les personnages arrivent et repartent sans raison dans l’appartement de Johnny et Lisa. Les scènes se suivent sans suite logique. De nouveaux personnages font leur apparition sans aucune introduction et chacun apporte un élément d’un sous-scénario potentiel auquel il n’y aura jamais de résolution. Par exemple, la mère de Lisa mentionne au détour d’une conversation qu’elle a un cancer du sein, mais cela n’a aucune incidence sur le film qui poursuit sa course avec indifférence.


Ensuite, The Room propose un florilège de faux-raccords. Des éléments du décor qui, pendant une même scène, vont apparaître et disparaître. Une coupe de cheveux qui change trois fois dans une scène, un personnage qui apparaît derrière un autre alors qu’il n’était pas là sur le plan précédent… Les fautes de montage ne s’arrêtent pas là puisque certaines scènes sont coupées et recoupées à répétition par des plans de la ville de San Fransisco, allant même jusqu’à faire suivre une scène tournée en journée par un plan de nuit, avant de revenir à une scène de jour.


Enfin, les dialogues sont totalement incohérents. Lorsqu’ils ne résument pas la situation initiale (à savoir le fait que Lisa trompe Johnny avec Mark) ou qu’ils ne proposent pas une nouvelle sous-intrigue sans suite, ils se résument à une répétition de phrases de salutation (« Oh hi Mark ! Oh hi Johnny ! »), de banalités sur le quotidien (« So what’s new is you ? Not much. ») parfois jusqu’à trois fois dans la même scène ou encore de Lisa qui ne veut pas parler du sujet qu’elle vient d’amener sur le tapis (« Look, I don’t want to talk about it »). Mais le pire, c’est qu’une partie de ces dialogues incohérents ont été changés par l’équipe de post-production et rajoutés par-dessus la bande-son dans le dos de Tommy Wiseau qui ne voulait pas retoucher son travail.


Si The Room ressemble autant à un amas informe de tranches de vie inintéressantes, c’est principalement parce qu’il a été écrit par Tommy Wiseau comme une projection de sa vision d’un drame fondée sur ses expériences personnelles. Ainsi, on y voit un Johnny aimé de tous, sans défaut et aux intentions pures entouré de rôles clichés de femmes manipulatrices et d’hommes qui ne comprennent rien aux femmes et qui les rendent responsables de tous les maux. Il faut savoir qu’à l’origine, Tommy Wiseau voulait même que le personnage de Johnny se révèle être un vampire à la fin du film mais que l’équipe de production l’en a dissuadé en lui disant que ses projets étaient infaisables.


Pour finir, The Room s’inscrit dans le paysage cinématographique comme une merveille de ratage au sein de laquelle Tommy Wiseau et son histoire font partie intégrante de l’œuvre elle-même. Un film hors du commun dont on se lasse peu et dont les répliques cultes deviennent des blagues entre ses fans. Aujourd’hui encore certains cinémas américains diffusent The Room régulièrement comme un Midnight Movie, pour le plus grand plaisir de ses adeptes.


Cette critique vous a plu ? Pour d'autres critiques de films et de séries, venez faire un tour sur Postplay !

JulesLittleJools
1

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 18 nov. 2017

Critique lue 387 fois

Critique lue 387 fois

D'autres avis sur The Room

The Room
Kariboubou
1

La notation est impossible

Oui, impossible. Mon esprit met 1/10, mais mon coeur, et surtout mes zygomatiques, mettent 10/10. The Room est un film indépendant, écrit, produit et réalisé par Tommy Wiseau. Un film à sa gloire ou,...

le 4 oct. 2010

175 j'aime

6

The Room
Samu-L
1

Haha, what a story Tommy!

Dans les mauvais films, il existe quatre catégories bien distinctes: Les mauvais films, aussi appelé bouses, qui n'ont rien pour eux et qu'on se doit d'éviter comme la peste. Ensuite, viennent Les...

le 15 mai 2015

123 j'aime

32

The Room
Horst_Tappert
7

You're tearing me appart Tommy !

Tommy Wiseau a un budget de 6 millions de dollars, il est producteur exécutif, acteur principal, caméraman, metteur en scène, scénariste de the Room... Son nom apparait un paquet de fois dans le...

le 24 août 2011

52 j'aime

2

Du même critique

Bright
JulesLittleJools
4

Very Bad Orcs

Avec Bright, David Ayer (Suicide Squad) propose un univers haut en couleurs qui pêche pourtant par son scénario pauvre et peu original. Produit par Netflix, ce film plonge le spectateur dans un monde...

le 8 janv. 2018

Star Wars - Les Derniers Jedi
JulesLittleJools
6

Le grand retour du space opera

La monumentale Saga de space opera s'affuble d'un nouvel épisode, Star Wars : Les Derniers Jedi. Alors que le titre donne la perspective d'une destruction créatrice, d'une rupture avec les opus...

le 13 déc. 2017