The Social Network par Warden
C'est déjà pas évident de faire un biopic intéressant sur quelqu'un qui aurait eu une vie trépidante .... sur un président, un explorateur, un héros, un musicien dont la carrière s'étendrait sur plusieurs décénnies. Alors sur 6 années de la vie d'un codeur, aujourd'hui agé de 26 ans, moitié mysogine et moitié asperger ...
Sur le papier, on peut émettre des doutes.
Mais on peut aussi croire en l'incroyable accumulation de talents mis à contribution pour The Social Network. Le montage et le découpage constructif du film sont, sinon innovant, au moins parfaitement executés. La bande-son de Trent Reznor et Atticus Finch est d'une densité, d'une cohérence incroyable, tout en s'autorisant nombre de moments de folie (la reprise electro de In The Hall of the Mountain King sur fond de compétition d'aviron est probablement l'un des moments les plus sérieusement tarés de l'année. Et ce malgré Inception ou Kaboom). Et je ne vais pas m'étendre sur la photographie de Jeff Cronenweth, qui, dans une scène de night-club, réapprend son métier à la moitié de l'AMPAS, et parvient à mélanger avec un tact effarant son style propre, angoissant et onirique, à un univers forcément réaliste.
On va parler un peu des acteurs. Avec ce film, Jesse Eisenber montre bien qu'il est exactement ce que Michael Cera aimerait être : un acteur nuancé et rarement caricatural, jouant la social awkwardness plutôt que l'imitant à gros traits. Andrew Garfield est magistral en post-ado dépassé par ses responsabilités. Justin Timberlake prouve une nouvelle fois qu'il est un réel acteur, empli de folie, dans ses meilleurs comme dans ses pires aspects.
On va passer rapidement sur David Fincher : c'est probablement son film le moins ambitieux, le moins expérimental en matière de réalisation. Dialogues en champ/contre-champ, mouvement de caméra calculés mais sans surprise... Ca paraîtrait presque dommage...
Seulement, y'aurait-il besoin d'en faire plus, en partant d'un script pareil ?
Je vais être clair. Je me suis efforcé de laisser le fanboy au vestiaire en allant voir ce film. Mais putain, Aaron Sorkin est un génie. Voila. C'est dit. Entre l'intelligence extrême du dialogue et le développement des personnages, qui se muent sous nos yeux en métaphores vivantes d'une génération prise dans des mutations sociales qui souvent la dépasse, il offre au public une démonstration particulièrement convaincante de ce que peut être l'écriture cinématographique aujourd'hui. Et s'il reprend certains tropes déjà explorés dans The West Wing (la scène d'introduction de Sean Parker réutilise allègrement certains codes employés dans le pilote de la série), c'est généralement pour mieux creuser ses propres considérations humaines, et transmettre sa vision du monde à une génération qu'il n'avait pas encore eu l'occasion d'explorer. Ce à quoi s'ajoute une science du storytelling qui, au moment où j'écris ces lignes, doit probablement faire rêver nombre de managers et d'ad-men à travers le monde.
En bref : les fans de Fincher auront plaisir à retrouver ses ambiances si caractéristiques. Ceux de Reznor s'amuseront grandement de retrouver les sonorités typiques du frontman de Nine Inch Nails. Tout amateur de photographie prendra un immense plaisir à étudier le travail de Jeff Cronenweth. Ceux qui voyaient Andrew Garfield comme l'un des principaux acteurs à suivre de cette génération auront la satisfaction d'avoir eu raison. Et les adeptes de Sorkin suivront avec délectation le déroulement de chaque arc narratif, l'écriture de chaque réplique, même parfois les plus insignifiantes.
Personnellement, je remplis chacun de ces critères. Et j'ai passé deux des meilleures heures de ce début d'année.