Le sale gosse turbulent de Fight Club se serait-il assagi ? Aurait-il abandonné sa virtuosité rageuse pour les voies d'un classicisme hollywoodien que l'on croyait révolu ? Depuis la sortie de L'Étrange histoire de Benjamin Button, on est en droit d'interroger le changement de cap de Fincher, qui nous avait jusque là habitués à des films tendus, pessimistes, atypiques, torturés.

De la « patte Fincher », The Social Network ne semble garder que le traitement des personnages. Le récit, biographie romancée du créateur de Facebook, met en scène un marginal, un geek solitaire, antipathique et misanthrope. A l'image du tueur de Seven ou du Tyler Durden de Fight Club, le Mark Zuckerberg de Fincher n'a pas d'autre but que d'infuser chez les autres la douleur de sa solitude. Et il y parvient d'une manière plus triomphante encore que ses prédécesseurs, quand on connaît la portée actuelle de Facebook. La grande force du film repose sur un paradoxe aussi effrayant que fascinant, auquel Jesse Eisenberg apporte une incarnation glaçante : le plus grand réseau social du monde a été créé par l'homme le plus seul au monde, le plus opposé à la notion même de société, d'humanité. Il y a quelque chose de fantomatique dans le personnage de Zuckerberg, dont l'âme nous apparaît comme aussi virtuelle que sa création.

Là où l'on se serait attendu à un pamphlet dévastateur contre Facebook, Fincher nous livre un conte moderne aux images d'une froide beauté, à la narration tranquille. Le rythme de métronome du montage, la précision chirurgicale de l'interprétation et des dialogues, témoignent d'une grande maturité dans la mise en scène. Mais si la forme se fait plus sage, Fincher prouve une nouvelle fois qu'il n'a rien perdu de la puissance évocatrice de son cinéma. C'est avec une résignation ironique, un désenchantement discret, qu'il nous fait partager la plus humaine des angoisses, celle de perdre toute humanité. Les taulards d'Alien 3 y étaient déjà confrontés dans leur quête de rédemption, Benjamin Button l'éprouvait à travers la singularité de son existence inversée. L'anti-héros du Social Network veut exorciser cette angoisse en la virtualisant, cherchant à convertir en octets chaque fragment de sa personnalité jusqu'à son effacement total, pour ne plus avoir à souffrir en silence. Quant à savoir s'il y parvient vraiment, même le dernier plan du film ne saurait nous le dire, laissant une trace d'indicible, d'indécidable, d'incontrôlable, au milieu de l'univers bien réglé du protagoniste. Et Fincher de venir ainsi perturber in extremis la forme faussement parfaite, sournoisement classique de sa mise en scène. Du grand art !

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le 26 août 2011

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