Film parabole dont le thème dépasse largement celui de l'art, celui-ci servant surtout de support métaphorique pour rendre compte de l'état d'une société, The Square a l'intelligence de ne pas s'enfermer dans un discours à sens unique grâce à une rhétorique dialectique dont le protagoniste Christian (le très bon Claes Bang) est l'allégorie. Réduire donc le film à une simple satire de l'art contemporain est une grossière erreur, les strates de signification se multipliant vertigineusement à l'image de ce génial travelling arrière final où les carrés se prolongent à l'infini.
Rejet de l'autre et sentiment de culpabilité, mise à l'écart spatiale et volonté de pénétrer cet espace, intégration des communautés étrangères et absence de volonté de s'intégrer, effort de dialogue et violence gratuite, violence comme défense et fuite, pouvoir symbolique de l'argent et souffrance de la pauvreté, individualisme et pitié, altruisme et abus de la gentillesse des autres, aide des autres et assistanat, … les dualismes se multiplient donc à l'infini, sans pour autant que l'on s'y perde puisque le discours est cohérent, les transitions soignées, la syntaxe claire.
Sur ce discours de fond concernant la sphère sociale s'imprime en premier plan le motif de l'art, reflet du monde, de ses vertus comme de ses dérives, permettant à la fois de transmettre un savoir aux plus jeunes, de créer un espace de dialogue (que ce soit dans la controverse ou dans l'entente) mais aussi image d'une économie libérale où l'argent est roi, du cynisme des communicants et des gouvernants prêts à tout pour vendre (société du spectacle oblige) et enfin d'une certaine supériorité intellectuelle dont certains n'ayant pas les outils pour le comprendre (et qui, par réflexe d'auto-défense, l'attaquent) en demeure en dehors.
Très académique finalement en raison de son structuralisme et de cette mise en abîme du carré, figure géométrique obsédante de la mise en scène, et en même temps contemporain et audacieux dans sa forme libre et son discours critique à l'égard d'une certaine gauche enfermée dans un discours «bisounours» (dire qu'il tente de brosser dans le sens du poil le jury cannois est d'une stupidité affligeante), The Square ose embrasser un système dans sa complexité sans perdre la face ni son fil conducteur en proposant un pertinent va-et-vient entre le dedans et le dehors. Et que ceux qui sont restés en dehors du carré retournent vénérer les vieilles statues fienteuses.